Selon le décret de la Communauté flamande de Belgique, tout employeur ayant son siège d’exploitation dans la région de langue néerlandaise a l’obligation de rédiger dans cette langue, sous peine de nullité, tous les documents relatifs aux relations de travail. L’arrêt du 16 avril 2013 (C-202/11) apporte une réponse à la question de savoir si une telle obligation est susceptible d’enfreindre l’article 45 du traité FUE, lorsque les relations de travail concernées s’inscrivent dans un contexte transfrontalier.
M. Las, ressortissant néerlandais résidant aux Pays-Bas, a exercé son activité professionnelle pour une durée de plus de cinq ans auprès de PSA Antwerp, une société sise en Flandre appartenant à un groupe d’envergure internationale. Après son licenciement, il a fait valoir son droit au versement d’une indemnité de licenciement plus substantielle que celle qui était prévue à la charge de son employeur en application des dispositions pertinentes du contrat de travail en cause. Au soutien de ses prétentions, il a invoqué la nullité dudit contrat de travail, au motif que celui-ci avait été rédigé dans la langue anglaise au lieu de la langue néerlandaise, au mépris de l’obligation figurant à l’article 10 du décret flamand sur l’emploi des langues. Devant les juridictions nationales, PSA Antwerp a conclu à la non-application du décret concerné, considérant que l’exigence d’user d’une langue définie pour la rédaction de documents de travail dans une situation transfrontalière constituait un obstacle à la libre circulation des travailleurs. Saisie de l’affaire, l’arbeidsrechtbank te Antwerpen a décidé d’interroger la Cour de justice sur la conformité du décret flamand avec l’article 45 du traité FUE.
La Cour de justice considère que le contrat de travail relève du champ d’application de l’article 45 du traité FUE, dans la mesure où il a été conclu entre un ressortissant néerlandais, résidant aux Pays-Bas, et une société établie sur le territoire belge. Elle indique notamment que le bénéfice de l’article 45 du traité FUE peut être invoqué non seulement par les travailleurs eux-mêmes, mais également par leurs employeurs. Est ainsi consacré par la Cour de justice le droit des employeurs d’engager leurs employés dans le respect des règles en matière de libre circulation des travailleurs, en tant que complément au droit des travailleurs d’être engagés et occupés sans discrimination.
Sur la question de savoir si l’obligation imposée par le décret flamand à tout employeur établi dans la région de langue néerlandaise de rédiger dans cette même langue tous les documents relatifs à la relation de travail lorsqu’il engage un travailleur constitue une restriction à la libre circulation des travailleurs, la Cour rappelle sa jurisprudence, selon laquelle l’article 45 du traité FUE s’oppose à toute mesure qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants de l’Union, des libertés fondamentales garanties par le traité. Un tel effet dissuasif est constaté dans le cas de l’obligation prévue par le décret flamand et constitue, partant, une mesure restrictive à la libre circulation des travailleurs.
La Cour de justice examine enfin si une telle obligation peut être justifiée par un objectif d’intérêt général et si elle est propre à garantir la réalisation de celui-ci, sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre un tel objectif. Afin de démontrer l'existence d'une telle justification, le gouvernement belge invoquait un triple objectif visant d’abord à promouvoir et à stimuler l’emploi d’une de ses langues officielles, à assurer la protection des travailleurs et, enfin, à assurer l’efficacité des contrôles et de la surveillance de l’inspection du travail. Selon la Cour de justice, si ces objectifs sont, en principe, de nature à justifier une restriction aux obligations imposées par l’article 45 du traité FUE, il n’en reste pas moins que le décret flamand va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis. Ainsi, un résultat moins restrictif à la liberté de circulation des travailleurs pourrait être atteint par l’établissement d’une mesure nationale qui non seulement imposerait l’utilisation de la langue officielle d’un Etat membre pour la rédaction des contrats de travail à caractère transfrontalier, mais qui permettrait en outre d’établir une version faisant foi de tels contrats également dans une langue connue de toutes les parties concernées. Il s’ensuit qu’une réglementation nationale, telle que celle de l’espèce, qui impose à tout un employeur établi sur le territoire de l’une des entités fédérées l’obligation d’utiliser, sous peine de nullité, la langue de ladite entité pour la rédaction de tous les documents de travail, porte atteinte à l’article 45 du traité FUE.
Cet arrêt détermine les limites de la marge d'appréciation dont disposent les Etats membres pour établir les conditions d’utilisation de leur propre langue nationale dans un contexte transfrontalier. Ainsi, un Etat membre ne saurait être autorisé à se prévaloir des justifications tirées de la politique de défense d’une langue pour recourir à des mesures restreignant les libertés de circulation que dans les conditions énoncées par la Cour de justice.
Reproduction autorisée avec l’indication: Mihaela Nicola, "Limite à l’utilisation de la langue officielle d’un Etat membre dans une situation transfrontalière", www.ceje.ch, actualité du 24 avril 2013