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La fonction de chef d’Etat et la liberté de circulation garantie par le droit de l’UE

Mihaela Nicola , 24 octobre 2012

Le recours en manquement introduit par la Hongrie à l’encontre de la Slovaquie, à la suite du refus de cette dernière de permettre l’accès à son territoire au président hongrois, a été rejeté par la Cour de justice dans son arrêt du 16 octobre 2012 (aff. C-364/10). Celle-ci a conclu à l’inapplication du droit de l’Union européenne à une situation telle que celle de l’espèce.

S’agissant des circonstances entourant le litige, il convient de rappeler que le président hongrois, M. Sólyom, avait prévu une visite en Slovaquie, lors de la cérémonie d’inauguration d’une statue de Saint-Étienne le 21 août 2009. Alors qu’il était en route pour la Slovaquie, il a été informé que les autorités slovaques avaient décidé de lui refuser l’entrée sur leur territoire pour des raisons tenant à des risques pour la sécurité, sur la base des dispositions de la directive 2004/38 ainsi que sur celle de dispositions de droit interne relatives au séjour des étrangers et à la police nationale. Amenée à examiner l’opportunité d’engager une procédure de manquement, au titre de l’article 258 du traité FUE, contre la Slovaquie, pour violation de l’article 21 du traité FUE et de la directive 2004/38, la Commission avait estimé que lesdites dispositions n’étaient pas applicables aux visites effectuées par un chef d’un Etat membre sur le territoire d’un autre Etat membre et que, dans ces conditions, le manquement allégué par la Hongrie n’était pas fondé.

La Cour de justice a suivi les conclusions de l’avocat général (voir notre actualité du 13 mars 2012). S’agissant de l’exception d’incompétence soulevée par la Slovaquie, elle a considéré que la question de savoir si le droit de l’Union européenne est applicable au cas d’espèce relève pleinement de ses compétences et doit être tranchée conformément à l’article 259 du traité FUE. Sur le fond, elle s’est attachée d’abord à la spécificité du statut de chef d’Etat, dont la protection juridictionnelle est consacrée par différents instruments de droit international, notamment par la convention de New York du 14 décembre 1973. L’appréciation des comportements de la personne qui jouit de ce statut doit se faire selon le droit des relations diplomatiques, de sorte que son accès au territoire d’un autre Etat membre « ne relève pas des mêmes conditions que celles applicables aux autres citoyens ». En l’occurrence, la circonstance qu’un citoyen de l’Union européenne exerce la fonction de chef d’Etat se traduit par une limitation, fondée sur le droit international, de l’exercice de son droit de circulation garanti notamment par l’article 21 du traité FUE. La Cour de justice a écarté l’argument selon lequel la Slovaquie aurait, en motivant sa décision de refus sur la base des dispositions de la directive 2004/38, commis un abus de droit. A cet égard, elle a souligné que les autorités slovaques n’avaient adopté aucune décision au sens de l’article 27 de la directive 2004/38, d’une part, et que la simple invocation de ladite directive dans une note verbale du ministère des Affaires étrangères slovaque ne satisfait pas les conditions établies par sa jurisprudence (arrêts du 14 décembre 2000, Emsland‑Stärke, C‑110/99, Rec. p. I‑11569, ainsi que du 21 juillet 2005, Eichsfelder Schlachtbetrieb, C‑515/03, Rec. p. I‑7355) pour la constatation d’un éventuel abus de droit, d’autre part. De même, le recours  s'agissant du grief relatif à l’existence d’un risque que la Slovaquie réitère à l’avenir une violation des articles 3 du traité UE et 21 du traité FUE ainsi que de la directive 2004/38, dans la mesure où l’objectif de l’article 259 du traité FUE vise, comme la Cour de justice l’a souligné, à l’élimination effective des manquements des Etats membres et de leurs conséquences. Enfin, la Cour de justice a estimé que la Hongrie, en demandant une clarification des limites à l’application de l’article 21 du traité FUE et de la directive 2004/38, a cherché à obtenir une interprétation du droit de l’Union et non à faire constater un recours en manquement de la part de la Slovaquie, ce qui suffisait pour considérer le dernier grief comme irrecevable.

La Cour de justice n’a pas eu à trancher, eu égard au type de recours, la question de savoir s’il y a de nouvelles limites à la liberté fondamentale de circulation à l’égard d’autres catégories de citoyens de l’Unioneuropéenne. Elle s’est en effet bornée à constater que « les circonstances entourant l’incident survenu le 21 août 2009 entre la Hongrie et la République slovaque concernaient uniquement le président de la Hongrie et non pas d’autres catégories de citoyens ». Ainsi,le débat sur les limites du champ d’application personnel de la liberté fondamentale de circulation afférente au statut de citoyen de l’Union européenne reste ouvert et de nouvelles affaires permettront sans doute à la Cour de justice d’approfondir cette question.


Reproduction autorisée avec l’indication: Mihaela Nicola, « La fonction de chef d'Etat et la liberté de circulation garantie par le droit de l’UE », www.ceje.ch, actualité du 24 octobre 2012