La question de l’accès des chefs d’Etat au territoire des Etats membres de l’Union européenne au regard du droit à la libre circulation, garanti à ses citoyens par la directive 2004/38, a suscité des interrogations suite à une situation inédite surgie entre deux Etats membres de l’Union. Le Président hongrois, M. László Sólyom, s’est vu refuser, le 21 août 2009, l’accès au territoire slovaque, alors qu’il se rendait en visite, dans cet Etat membre, sur invitation d’une association qui y était basée pour participer à la cérémonie d’inauguration d’une statue de saint Etienne, premier roi apostolique de Hongrie. Le refus des autorités slovaques était fondé sur un motif de sécurité publique, en application de la directive 2004/38, eu égard à la signification historique de la date de 21 août, qui correspond à la commémoration de l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968 par les troupes du Pacte de Varsovie, dont les troupes hongroises faisaient parties. Considérant qu’un tel refus était contraire aux dispositions de droit de l’Union européenne relatives à la libre circulation des citoyens, notamment celles de la directive 2004/38 et de l’article 21, paragraphe 1, du traité FUE, la Hongrie a décidé, malgré le refus par la Commission d’engager une procédure de manquement à l’encontre de la Slovaquie, de porter l’affaire devant la Cour de justice.
Dans ses conclusions du 6 mars 2012 (aff. C-364/10), l’avocat général Bot estime, à l’instar de la Commission européenne, que les déplacements publics d’un chef d’un Etat membre, sur le territoire d’un autre Etat membre, échappent à l’application du droit de l’Union européenne. A cet égard, il rappelle qu’en vertu de l’article 5, paragraphe 2, du traité UE, l’Union européenne ne dispose que de compétences attribuées. L’absence d’une disposition dans les traités relative à l’accès des chefs d’Etat au territoire des Etats membres le conduit à considérer que la compétence pour régir une telle question revient aux Etats membres. S’agissant de la visite projetée par le chef d’Etat hongrois, l’avocat général considère, eu égard aux circonstances qui ont entouré cette visite, que M. Sólyom a agi « dans l’exercice de ses fonctions de président de l’Hongrie, et non en sa qualité de citoyen de l’Union », ce qui revient à dire qu’il ne saurait prétendre au bénéfice de la libre circulation accordé par la directive 2004/38.
L’avocat général rejette également la thèse soutenue par la Hongrie, selon laquelle le statut de citoyen de l’Union ainsi que les droits et les obligations afférents à ce statut devraient l’emporter sur le statut de chefs d’Etat des Etats membres. Non seulement une telle interprétation ne serait pas conforme au principe d’attribution des compétences, mais elle ne tiendrait pas compte de la spécificité de la position des chefs d’Etat, qui « n’est comparable à nulle d’autre et certainement pas à celle d’un citoyen qui souhaite se rendre dans un Etat à titre purement privé ». En se référant ensuite à la spécificité du traitement que le droit international réserve aux chefs d’Etat, l’avocat général conclut que les visites de chefs d’Etat doivent être organisées avec le consentement de l’Etat membre d’accueil et selon les modalités définies par ce dernier, sans que celles-ci puissent être appréhendées en termes de libertés de circulation.
En affirmant la compétence des Etats membres d’aménager leurs relations diplomatiques, l’avocat général relève néanmoins que l’exercice d’une telle compétence ne devrait pas porter atteinte au processus d’intégration de l’Union européenne et à la réalisation de ses objectifs. Son raisonnement ouvre ainsi une brèche en faveur de l’application du droit de l’Union en la matière, lorsque les Etats membres, dans une « situation de paralysie persistante » de leurs relations diplomatiques, méconnaîtraient leurs obligations découlant du principe de coopération loyale, inscrit à l’article 4, paragraphe 3, du traité UE. En l’espèce, une telle application n’est toutefois pas possible, dans la mesure où les autorités hongroises et slovaques ont réitéré, quelques jours après l’incident en cause, leur engagement d’entretenir de relations de bon voisinage.
Reste à voir si la Cour de justice suivra les conclusions de l’avocat général. Si tel devait être le cas, la Cour de justice établirait une limite importante au champ d’application personnel de la liberté fondamentale de circulation afférente au statut de citoyen de l’Union européenne, qui a et devrait avoir vocation à être, selon la jurisprudence de celle-ci, « le statut fondamental des ressortissants des Etats membres ».
Reproduction autorisée avec l’indication: Mihaela Nicola, "Interrogations sur le droit d’entrée d’un chef d’Etat sur le territoire d’un autre Etat membre de l’Union européenne", www.ceje.ch, actualité du 13 mars 2012