Dans l’arrêt du 6 décembre 2011, Alexandre Achughbabian (C-329/11), la Cour de justice a précisé la solution retenue dans l’arrêt El Dridi (affaire C-61/11 PPU), concernant les législations nationales prévoyant l’infliction de peines d’emprisonnement aux étrangers en situation irrégulière sur le territoire des Etats membres. Cette nouvelle affaire met en cause la France, et plus précisément l’article L. 621-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Le demandeur, qui fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière, a fait appel de l’ordonnance ordonnant la prolongation de sa rétention, faisant valoir l’incompatibilité de l’article L. 621-1 avec la directive 2008/115. La cour d’appel de Paris a interrogé la Cour de justice sur la possibilité, prévue par cette disposition, d’infliger une peine d’emprisonnement à un ressortissant d’un pays tiers au seul motif de l’irrégularité de son entrée ou de son séjour sur le territoire d’un Etat membre.
La Cour estime que la directive 2008/115 ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui qualifie le séjour irrégulier d’un ressortissant d’un pays tiers de délit et prévoit une peine d’emprisonnement pour réprimer ce séjour, ni à la détention d’un ressortissant d’un pays tiers en vue de la détermination du caractère régulier ou non de son séjour, dès lors que ces sanctions sont infligées dans le respect des droits fondamentaux. Cependant, comme dans l’arrêt El Dridi, elle rappelle que les réglementations pénales appliquées par les Etats membres ne sauraient mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par cette directive, et la priver de son effet utile. Il convient donc, malgré la compétence des Etats membres dans le domaine de l’immigration clandestine et du séjour irrégulier, de vérifier si la directive invoquée s’oppose à une disposition telle que l’article L. 621-1.
A cette fin, la Cour constate d’abord que la situation du requérant au principal, qui n’a pas respecté son obligation de retour dans le délai accordé pour le départ volontaire, relève de l’article 8 de la directive. Or, si cette disposition permet l’adoption de mesures coercitives conduisant au retour de l’intéressé, l’infliction et l’exécution d’une peine d’emprisonnement au cours de la procédure de retour ne sauraient constituer de telles « mesures ». En effet, elles ne contribuent pas à la réalisation de cet objectif, et peuvent, au contraire, retarder le retour de l’intéressé, faisant échec à l’application des normes et procédures établies par la directive. Reprenant ici encore les motifs de l’arrêt El Dridi, la Cour rappelle qu’une telle réglementation méconnaît tant le devoir de loyauté des Etats membres que les exigences d’efficacité de la directive 2008/115.
La directive 2008/115 s’oppose donc à une réglementation nationale permettant l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers, en séjour irrégulier sur le territoire d’un Etat membre et non disposé à le quitter volontairement, qui n’a pas été soumis aux mesures coercitives visées à l’article 8 de la directive, et n’a pas vu expirer la durée maximale de rétention en vue de la préparation et de la réalisation de son éloignement. Comme dans l’arrêt El Dridi, la Cour s’appuie paradoxalement sur l’efficacité de la procédure d’expulsion pour limiter la répression du séjour irrégulier par des sanctions pénales. Ce nouvel arrêt rend plus visible l’incidence du raisonnement suivi, fondé sur l’effet utile de la directive « retour » : une réglementation permettant l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers, qui a déjà été soumis à des mesures coercitives, est compatible avec la directive. Celle-ci ne s’oppose donc qu’aux peines susceptibles de retarder l’exécution de la décision d’éloignement.
Reproduction autorisée avec l’indication: Turmo Araceli, "Précisions sur la compatibilité de la pénalisation du séjour irrégulier avec le droit de l'Union européenne", www.ceje.ch, actualité du 9 décembre 2011.