La Cour de justice, dans sa composition en grande chambre, s’est prononcée le 24 mai 2011 sur six affaires en manquement dans lesquelles était en cause la condition de nationalité imposée par les Etats membres pour accéder à la profession de notaire (arrêt Commission c. Belgique, aff. C-47/08 ; arrêt Commission c. France, aff. C-50/08 ; arrêt Commission c. Luxembourg, aff. C-51/08 ; arrêt Commission c. Autriche, aff. C-53/08 ; arrêt Commission c. Allemagne, aff. C-54/08 ; arrêt Commission c. Grèce, aff. C-61/08).
Deux griefs sont avancés par la Commission à l’appui de ses recours en manquement : premièrement, elle invoque la non-conformité au droit de l’Union, et plus précisément à la liberté d’établissement (actuel art. 49 du traité FUE), des dispositions réservant aux seuls ressortissants nationaux l’accès à la profession de notaire. Deuxièmement, elle reproche aux Etats membres concernés (à l’exception de la France) ainsi qu’au Portugal (arrêt Commission c. Portugal, aff. C-52/08) une mauvaise transposition de la directive 89/48 relative à un système général de reconnaissance des diplômes, des certificats et titres de l’enseignement supérieur long, applicable au moment des faits et qui a été abrogée à partir du 20 octobre 2007 par la directive 2005/36 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles.
S’agissant de la compatibilité de la condition de nationalité avec la liberté d’établissement garantie par le traité, il est incontesté qu’une telle clause consacre une différence de traitement en principe contraire à l’article 49 du traité FUE. Les Etats membres objectent toutefois que les activités notariales sont soustraites du champ d’application de cette disposition étant donné qu’elles participent à l’exercice de l’autorité publique, au sens de l’article 51, paragraphe 1, du traité FUE. La notion d’exercice de l’autorité publique constitue donc l’élément central de ces affaires. Dans ses conclusions, l’Avocat général Villalón, qui procède à de longs développements sur la notion de pouvoir et sur la qualité de l’Etat moderne, plaide également pour qualifier l’ensemble de la profession de notaire de participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique, étant donné que l’activité d’authentification, qui en constitue l’élément central, non détachable, participe à l’exercice de l’autorité publique en conférant à l’acte authentifié une valeur juridique qualifiée et en accordant ainsi aux particuliers, par anticipation, une autorisation d’exercice de leur propre droit. Toutefois, l’Avocat général considère que des clauses de nationalité limitant l’accès à la profession de notaire sont contraires au droit de l’Union, parce qu’elles ne respectent pas le principe de proportionnalité qui doit s’appliquer nonobstant l’inclusion de la profession de notaire dans le champ d’application de l’article 51 FUE.
La Cour de justice aboutit à un résultat différent de celui de l’Avocat général en ce qui concerne l’application aux activités notariales de l’exception de l’article 51 du traité FUE. Ces arrêts entérinent une jurisprudence constante interprétant la notion d’exercice de l’autorité publique de façon très restrictive. Après avoir rappelé que l’exception de l’article 51 doit être limitée aux activités qui, prises en elles-mêmes, constituent « une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique », la Cour examine si les activités confiées aux notaires comportent une telle participation. Tel n’est pas le cas selon la Cour, qui commence par examiner la tâche principale assumée par les notaires, soit l’établissement d’actes authentiques. Deux éléments semblent avoir été déterminants dans le raisonnement de la Cour pour nier à cette activité la qualité de participation à l’exercice de l’autorité publique : premièrement, le fait que les actes que le notaire est appelé à authentifier supposent l’existence préalable d’un consentement ou d’un accord de volonté des parties et, deuxièmement, le fait que le notaire n’est pas légitimé à modifier de façon unilatérale la convention qu’il authentifie. Le caractère obligatoire de l’authentification, l’obligation des notaires de vérifier la satisfaction des conditions légales mises à la réalisation de l’acte à authentifier ou le fait que l’authentification poursuit un objectif d’intérêt public ne permettent pas, selon la Cour, de conclure à une participation à l’exercice de l’autorité publique. Elle indique toutefois que la poursuite de l’objectif d’intérêt général visant à garantir la légalité et la sécurité juridique des actes à authentifier est susceptible de constituer une raison impérieuse d’intérêt général justifiant certaines restrictions à la liberté d’établissement des notaires, telles que des limitations de leur nombre ou de leurs compétences territoriales. Quant à l’argument selon lequel les actes notariés bénéficient d’une force probante, la Cour le rejette en précisant que la force probante d’un acte découle du régime des preuves consacré dans la loi nationale et n’a donc pas d’incidence sur la question de la participation à l’exercice de l’autorité publique de l’activité consistant à l’établissement de l’acte. Dans les arrêts impliquant l’Allemagne, l’Autriche et la Grèce, la Cour rejette en outre l’argument selon lequel les actes notariés lient inconditionnellement les juges en soulignant que ces derniers prennent leurs décisions d’après leur intime conviction en tenant compte de l’ensemble des faits et des preuves présentés. Enfin, l’argument de la force exécutoire des actes authentiques est écarté au motif que la force exécutoire repose avant tout sur la volonté des parties de passer l’acte et de lui conférer cette qualité.
La Cour examine ensuite les autres activités assumées par les notaires, telles que les missions en matière de ventes et de saisies-exécutions immobilières ou en matière successorale. Si ces prestations comportent un concours - parfois obligatoire - au fonctionnement des juridictions, elles n’en constituent pas pour autant une participation à l’exercice de l’autorité publique, étant donné que le notaire agit sous la surveillance des juges ou d’autres officiers publics.
Quand bien même la nature des activités en cause et non le statut des notaires est pertinente pour décider s’il y a participation à l’exercice de l’autorité publique, la Cour ajoute que la profession de notaire présente deux caractéristiques qui ne sont pas typiques de l’exercice de l’autorité publique : la situation de concurrence dans laquelle les notaires exercent leur profession et la responsabilité personnelle qu’ils assument à l’égard de leurs clients. Dans l’arrêt relatif à l’Autriche, la Cour précise que cette conclusion n’est pas affectée par le fait que le notaire engage, dans certains cas limités, la responsabilité de l’Etat.
La Cour de justice conclut donc que les activités notariales ne participent pas à l’exercice de l’autorité publique et que les conditions de nationalité prévues pour l’accès à la profession de notaire constituent une discrimination contraire à la liberté d’établissement.
Le second grief avancé par la Commission, relatif à la mauvaise transposition, dans l’ordre juridique des Etats membres, de la directive 89/48, est rejeté par la Cour en raison de l’absence d’une obligation claire de transposer cette directive en ce qui concerne la profession de notaire.
Reproduction autorisée avec l’indication: Grisel Diane, "Les activités notariales ne participent pas à l’exercice de l’autorité publique", www.ceje.ch, actualité du 6/6/2011