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Citoyenneté et situations internes : l’incertitude subsiste

Diane Grisel , 12 mai 2011

Après l’arrêt Zambrano de mars 2011, dans lequel la Cour de justice avait admis l’application des dispositions du traité FUE sur la citoyenneté nonobstant l’absence d’un élément transfrontalier, on pensait que les arguments de l’Avocat général Sharpston avaient convaincu la Cour de justice et que les discriminations à rebours en matière de citoyenneté relevaient du passé. Toutefois, dans l’arrêt McCarthy rendu le 5 mai 2011 (C-434/09), la Cour réduit la portée de l’arrêt Zambrano et laisse planer un doute sur la portée des droits liés au statut de citoyen de l’Union.

Le litige dans l’affaire McCarthy concerne une ressortissante binationale britannique et irlandaise, Madame McCarthy, laquelle a toujours vécu au Royaume-Uni où elle demeure sans y travailler, étant allocataire de prestations sociales. Après son mariage avec un ressortissant jamaïcain, elle a requis des autorités britanniques une autorisation de séjour en tant que citoyenne de l’Union. Le but de cette démarche est d’obtenir un droit de séjour au titre de la directive 2004/38 pour son époux, en sa qualité de membre de la famille d’un citoyen de l’Union, étant donné qu’un droit de séjour analogue n’est pas possible en vertu de la législation britannique sur l’immigration.

Saisie sur recours, la Cour Suprême du Royaume-Uni pose à la Cour de justice deux questions préjudicielles portant sur l’interprétation de la directive 2004/38. Après quelques observations liminaires dans lesquelles elle rappelle que le droit fondamental à la libre circulation est garanti aux citoyens de l’Union par les traités ainsi que par la Charte des droits fondamentaux de l’Union (art. 45) et qu’un principe de droit international réaffirmé à l’article 3 du protocole n° 4 de la CEDH interdit aux Etats de refuser à ses propres ressortissants d’accéder à son territoire et d’y séjourner, la Cour de justice examine l’applicabilité de la directive 2004/38 aux faits d’espèce. Au terme d’une interprétation littérale, systématique et téléologique de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/38, qui en définit les bénéficiaires, la Cour nie l’application de la directive à une situation telle que celle de Madame McCarty. Un citoyen de l’Union qui n’a jamais fait usage de son droit de libre circulation et qui a toujours résidé sur le territoire de l’Etat membre dont il a la nationalité ne peut être qualifié de bénéficiaire de la directive 2004/38, quand bien même il dispose de la nationalité de plus d’un Etat membre. En conséquence, l’époux de Madame McCarty ne peut déduire aucun droit de la directive 2004/38, étant donné que les droits accordés aux membres de la famille résultent de la qualité de bénéficiaire du citoyen de l’Union qu’ils accompagnent. Une conclusion similaire avait déjà été atteinte dans l’arrêt Zambrano et l’arrêt McCarty ne fait donc que confirmer l’existence parallèle de deux régimes en matière de citoyenneté, l’un fondé sur la directive, l’autre sur le traité.

Reformulant la question posée par la Cour Suprême du Royaume-Uni, la Cour examine ensuite si l’article 21 du traité FUE, qui garantit à tout citoyen de l’Union le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, est applicable en l’espèce. Le principe, confirmé par la Cour, veut que les règles du traité ne s’appliquent pas à des situations dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul Etat membre (« exclusion des situations purement internes »). Deux tempéraments sont apportés à cette règle : premièrement, le simple fait qu’un citoyen de l’Union n’a pas fait usage de sa liberté de circulation ne permet pas de conclure automatiquement à une situation purement interne. Deuxièmement, et ainsi qu’il résulte de l’arrêt Zambrano, l’article 20 du traité FUE s’oppose à des mesures nationales qui ont « pour effet de priver les citoyens de l’Union de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par leur statut de citoyen de l’Union » (§ 42 de l’arrêt Zambrano, voir également § 47 de l’arrêt McCarthy). Dans l’arrêt Zambrano, la Cour a conclu que le fait, pour deux enfants en bas âge, ressortissants belges, de devoir quitter leur Etat membre d’origine pour pouvoir vivre auprès de leurs parents, ressortissants d’Etats tiers, lesquels ne bénéficient plus d’un droit de séjour dans l’Union, empêchait ces enfants, citoyens de l’Union, d’exercer les droits attachés à leur statut de citoyens. En conséquence, l’article 20 du traité FUE impose que dans une telle situation l’Etat membre en question accorde au parent qui a la charge de ses enfants un droit de séjour et un permis de travail. Par contre, dans l’arrêt McCarthy, la Cour soutient que le refus des autorités britanniques d’octroyer à Madame McCarthy un droit de séjour en vertu du droit de l’Union, basé sur sa nationalité irlandaise, n’a pas pour effet qu’elle doit quitter le territoire de l’Union, étant donné qu’elle bénéficie, en tant que ressortissante du Royaume-Uni, d’un droit de séjour inconditionnel dans cet Etat (§ 50 de l’arrêt). A la lumière de l’arrêt Zambrano, la conclusion de la Cour dans l’arrêt McCarthy surprend car si Madame McCarthy entend vivre auprès de son époux jamaïcain, elle se verra bel et bien contrainte de quitter son Etat membre d’origine. Cette conséquence pénible ne peut pas avoir été ignorée au motif que la mesure nationale donnant lieu aux questions préjudicielles n’affecte formellement que Madame McCarthy, étant donné que l’objectif avoué des époux McCarthy en requérant une autorisation de séjour pour Madame – soit d’obtenir une autorisation de séjour à titre dérivé pour son époux jamaïcain – était connu de la Cour. On peut en outre regretter, tout comme dans l’arrêt Zambrano, l’absence de toute mention au droit fondamental au respect de la vie privée et familiale garanti notamment par la CEDH et la Charte des droits fondamentaux de l’Union. Cette absence s’explique toutefois dans l’arrêt McCarthy par la conclusion de la Cour selon laquelle la situation d’espèce ne relève pas du droit de l’Union. Enfin, la référence de la Cour aux arrêts Garcia Avello (C-148/02) et Grunkin et Paul (C-353/06) (dans lesquels le fait de porter des noms de famille différents au regard de deux systèmes juridiques a été jugé comme constituant une entrave à la libre circulation des citoyens) pour distinguer ce qui relève de la privation de « l’essentiel des droits conférés par le statut de citoyen » ou de « l’entrave à l’exercice du droit de circuler et de séjourner librement » de ce qui n’en relève pas ne convainc pas.

En niant l’application de la directive 2004/38 et de l’article 21 du traité FUE en l’espèce, la Cour rejoint la position soutenue par l’Avocat général Kokott dans ses conclusions dans cette affaire, mais sur la base d’un raisonnement différent. L’Avocat général défend en effet une conception unique selon laquelle l’absence d’un élément de déplacement nécessaire pour que la directive 2004/38 soit applicable est à rapprocher de l’absence d’un élément transfrontalier nécessaire pour que les dispositions du traité s’appliquent (§ 31 des conclusions). En soumettant l’examen du champ d’application des dispositions du traité, soit l’existence d’un facteur de rattachement à l’une des situations envisagées par le droit de l’Union, à l’appréciation des effets restrictifs de la mesure contestée sur la « jouissance effective de l’essentiel des droits » conférés aux citoyens, la Cour de justice introduit un élément peu propice à la prévisibilité du droit.


Reproduction autorisée avec l’indication: Grisel Diane, "Citoyenneté et situations internes : l'incertitude subsiste", www.ceje.ch, actualité du 12/05/2011