La demande de décision préjudicielle introduite par la Cour administrative allemande (affaire C-135/08) a conduit la Cour de justice à répondre à une question particulièrement importante : une décision nationale de retrait de la nationalité obtenue par naturalisation est-elle conforme au droit de l’Union européenne, lorsque cette décision rend l’intéressé apatride et le prive de ce fait du statut de citoyen de l’Union européenne et du bénéfice des droits qui y sont attachés ?
Le requérant au principal, M. Rottmann, a obtenu la nationalité allemande par naturalisation et a perdu la nationalité autrichienne acquise par naissance en Autriche. Une décision du Land de Bavière, non encore définitive, menace M. Rottmann de la privation rétroactive de la nationalité allemande, au motif de la dissimulation par celui-ci du fait qu’il faisait l’objet d’une information judiciaire en Autriche et qu’il avait par conséquent obtenu frauduleusement la nationalité allemande. Par ailleurs, M. Rottmann ne remplit pas les conditions du droit autrichien pour recouvrer immédiatement la nationalité autrichienne. La décision du Land de Bavière aurait donc pour conséquence, lorsqu’elle sera définitive, d’entraîner l’apatridie de M. Rotmann et, corrélativement, la perte de la citoyenneté de l’Union européenne.
Au vu de ces circonstances, la Cour administrative allemande, saisie par une demande en révision de M. Rottmann, s’interroge sur l’étendue du pouvoir dont disposent les Etats membres afin de déterminer leurs ressortissants. Certes, l’article 17, paragraphe 1, CE permet aux Etats membres de définir les modalités d’octroi et de refus de la nationalité. Cependant, la Cour de justice a formulé dans l’arrêt Micheletti (affaire C-369/90) la réserve selon laquelle les Etats membres doivent exercer leur compétence en matière de nationalité dans le respect du droit de l’Union. Il appartient donc à la Cour de justice de se prononcer sur le contenu et la portée de ladite réserve.
Dans un premier temps, la Cour de justice se penche sur l’objection relative à la recevabilité du renvoi préjudiciel soulevée par les gouvernements allemands et autrichiens, soutenus par la Commission. Pour ces derniers, la situation de M. Rottmann ne revêtirait qu’une dimension purement interne, reposant sur une mesure adoptée par l’Etat allemand à l’égard de l’un de ses ressortissants, dans un domaine qui relève de la compétence de cet Etat membre.
La Cour de justice souligne d’emblée que la détermination des modalités d’acquisition et de perte de la nationalité relève, selon un principe de droit international, de la compétence des Etats. La solution consacrée en droit international a également été retenue en droit de l’Union européenne, tel que cela ressort de la déclaration nº 2 relative à la nationalité d’un Etat membre, jointe à l’acte final du traité UE, ainsi que de la décision des chefs d’Etat et de gouvernement réunis au sein du Conseil européen d’Édimbourg des 11 et 12 décembre 1992 concernant certains problèmes soulevés par le Danemark à propos du traité UE.
Conformément jurisprudence pertinente de la Cour de justice (notamment, arrêt Schempp, affaire C-403/03, arrêt Carlos Garcia Avello - affaire C-148/02, arrêt Bickel et Franz - affaire C-274/96), si une situation qui a trait à une matière relevant de la compétence des Etats membres a un rattachement avec le droit de l’Union européenne, les règles nationales concernées doivent être prises dans le respect de ce droit. En l’espèce, la mesure allemande risque d’affecter les droits de M. Rottmann conférés et protégés par le droit de l’Union européenne en vertu du statut de citoyen de l’Union européenne inscrit à l’article 17 CE. Par conséquent, la situation de M. Rottmann relève du champ d’application du droit de l’Union européenne et la Cour de justice doit répondre à la demande de question préjudicielle.
Dans un deuxième temps, la Cour de justice s’intéresse aux conditions dans lesquelles un citoyen de l’Union peut, du fait de la perte de sa nationalité, perdre cette qualité de citoyen de l’Union et, dès lors, être privé des droits qui y sont attachés.
Selon la Cour de justice, le droit de l’Union européenne n’interdit pas aux Etats membres de retirer la nationalité accordée par naturalisation, lorsque cette naturalisation a été acquise par fraude. La conclusion de la Cour de justice repose sur l’observation que les Etats membres, par le retrait de la naturalisation obtenue par des manœuvres frauduleuses, poursuivent un motif d’intérêt général. Par ailleurs, cette conclusion est conforme aux dispositions pertinentes de la convention sur la réduction des cas d’apatridie, de la convention européenne sur la nationalité, ainsi que de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Si la Cour de justice considère que le droit de l’Union européenne ne s’oppose pas à une décision nationale de retrait de la naturalisation obtenue frauduleusement, il n’en reste pas moins que les Etats membres doivent veiller au respect du principe de proportionnalité, lorsqu’une telle décision a pour conséquence la perte de la citoyenneté de l’Union européenne. Lors de l’examen d’une décision prise dans des circonstances telles que celles de l’espèce, il est essentiel, selon la Cour de justice, que les autorités nationales prennent en compte les conséquences éventuelles que cette décision emporte pour l’intéressé et, le cas échéant, pour les membres de sa famille, la gravité de l’infraction commise par celui-ci, le temps écoulé entre la décision de naturalisation et la décision de retrait ainsi que la possibilité pour l’intéressé de recouvrer sa nationalité d’origine.
S’agissant de la possibilité pour l’intéressé de recouvrer sa nationalité d’origine, la Cour de justice estime qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier si le respect du principe de proportionnalité exige l’octroi à l’intéressé d’un délai raisonnable afin qu’il puisse essayer de recouvrer la nationalité de son Etat membre d’origine.
La Cour de justice ne se prononce pas sur la question de savoir si l’Etat membre dont la nationalité a été initialement détenue par l’intéressé a l’obligation d’interpréter sa réglementation nationale de manière à éviter que celui-ci perde le statut de citoyen de l’Union européenne en lui permettant de recouvrer cette nationalité. Sur ce point, la Cour de justice considère que les autorités autrichiennes n’ont pas encore adopté une décision relative à la possibilité de M. Rottmann de recouvrer la nationalité autrichienne et, de ce fait, elle ne peut pas apporter une réponse à cette question. Il est à noter que la Cour de justice demande aux juridictions autrichiennes, d’apprécier la régularité d’une telle décision, lorsqu’celle-ci sera adoptée, à la lumière des principes dégagés dans son arrêt.
Cet arrêt, rendu en grande chambre, établit une limite importante à l’exercice des Etats membres de leur compétence en matière de nationalité, en s’inscrivant dans la continuité de la jurisprudence de la Cour de justice relative à l’interprétation de l’article 17 CE (devenu article 20 TFUE). Dans son appréciation, la Cour de justice fait état d’une volonté de concilier l’importance du statut de citoyen de l’Union européenne avec l’intérêt des Etats membres de prémunir le rapport particulier de solidarité et de loyauté qui existe entre eux et leurs ressortissants.
Reproduction autorisée avec indication : Mihaela Nicola, "Limite à l’exercice de la compétence des Etats membres en matière de nationalité", www.ceje.ch, actualité du 12 mars 2010.