Dans un arrêt en date du 16 mars 2010 (aff. C-325/08), la Cour de justice s’est prononcée sur la question de la libre circulation de jeunes joueurs de football citoyens de l’Union européenne. Il s’agit pour la juridiction de confirmer ou, au contraire, d’infirmer sa jurisprudence développée dans l’arrêt Bosman (aff. C-415/93).
M. Bernard est un jeune joueur de football professionnel ressortissant français. Le jeune homme a bénéficié, en sa qualité de joueur « espoir », d’une formation dispensée par l’Olympique Lyonnais (ci-après OL). A l’issue de sa formation, M. Bernard décline l’offre qui lui est proposée par l’OL, et décide de signer un contrat de joueur professionnel avec Newcastle UFC (club britannique). Or, en France, la « charte » - convention collective qui régit l’emploi des joueurs de football - dispose qu’un joueur est tenu de signer son premier contrat professionnel avec le club qui l’a formé. S’il signe avec un autre club à l’issue de sa formation, alors, la charte ne contenant pas de régime d’indemnisation, le droit du travail national s’applique, lequel prévoit que le joueur doit verser des dommages-intérêts à son club de formation pour rupture des engagements contractuels.
L’OL a donc saisi le juge national compétent, a interjeté appel, et s’est finalement pourvu en cassation. La juridiction française a constaté que le litige soulevait des difficultés liées à l’interprétation de l’article 39 du traité CE (devenu l’article 45 du traité FUE) relatif à la libre circulation des travailleurs. Aussi la Cour de cassation a-t-elle décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice deux questions préjudicielles, dont la teneur peut-être résumée comme suit : l’obligation imposée à un footballeur de signer son premier contrat de joueur professionnel avec le club qui l’a formé constitue t-elle une entrave à la libre circulation des travailleurs et, dans l’affirmative, cette restriction se justifie t-elle par la nécessité d’encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs ?
Conformément à sa jurisprudence constante, la Cour de justice rappelle que les conventions collectives nationales relèvent du champ d’application de l’article 45 du traité FUE. Aussi ces dernières ne sauraient empêcher ou dissuader un travailleur ressortissant d’un Etat membre de quitter son Etat d’origine au titre de son droit à la libre circulation. Partant de ce postulat, la juridiction de l’Union européenne constate que le régime prévu par la convention collective est de nature à dissuader les jeunes joueurs de jouir de leur droit à la libre circulation. Ainsi, même si le régime français n’empêche pas formellement le joueur de signer avec un autre club, la Cour de justice conclut sans autre que les règles nationales qui sont prévues dans la convention collective constituent une restriction à la libre circulation des travailleurs garantie au sein de l’Union.
Le juge de l’Union européenne examine ensuite si la mesure nationale qui entrave la libre circulation des travailleurs peut être admise par le fait qu’elle poursuit un objectif légitime compatible avec le traité et qu’elle se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général. Confirmant le raisonnement qu’elle avait tenu dans l’arrêt Bosman, la Cour de justice considère que viser à encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs constitue un objectif légitime qu’un Etat membre est fondé à poursuivre.
Cependant, la juridiction de l’Union européenne s’intéresse à la nécessité et à la proportionnalité, eu égard à l’objectif poursuivi, de la mesure française qui porte atteinte à la libre circulation des jeunes joueurs de football. En s’appuyant sur une argumentation exactement similaire à celle développée dans l’affaire Bosman, la Cour de justice estime que la perception d’indemnités de formation est de nature à encourager les clubs de football à rechercher des talents et à assurer la formation des jeunes joueurs.
Contrairement à l’arrêt Bosman, dans lequel la Cour de justice a dû se prononcer sur la perception d’une indemnité de formation, il est question dans l’affaire sous examen du paiement de dommages-intérêts par le travailleur ressortissant d’un Etat membre. Or, il n’existe aucun lien de corrélation entre le montant des dommages-intérêts et les coûts réels engendrés pour former le jeune talent. Sur ce fondement, la juridiction parvient à la conclusion qu’un régime national qui prévoit qu’un jeune joueur de football ressortissant d’un Etat membre qui signe son premier contrat de joueur professionnel avec un autre club que celui qui l’a formé se voit infliger des dommages-intérêts dont le montant s’avère sans rapport avec les coûts réels supportés par le club aux fins de la formation n’est pas nécessaire en vue de réaliser l’objectif légitime poursuivi.
Dans l’arrêt Olympique lyonnais, la Cour de justice a ainsi dessiné les contours de la portée de l’arrêt Bosman. En effet, le juge a établi le critère du lien entre le montant à la charge du jeune joueur de football et les coûts supportés par le club au titre de sa formation pour limiter les restrictions portées à la libre circulation des jeunes footballeurs au sein de l’Union européenne. L’intégration d’un tel critère dans le cadre du test de nécessité représente sans aucun doute une avancée vers une protection efficace de la libre circulation des jeunes joueurs de football citoyens de l’Union européenne.
Reproduction autorisée avec indication de la source : Marc Morel, "Consolidation de la libre circulation des jeunes joueurs de football ressortissants d’un Etat membre au sein de l’Union européenne", www.ceje.ch, actualité du 30 mars 2010.