Dans l’arrêt Zablocka-Weyhermüller du 4 décembre 2008 (aff.C-221/07), la Cour de justice a eu l’occasion de confirmer sa récente jurisprudence en matière d’exportation de prestations de guerre, en particulier les arrêts Tas-Hagen de 2006 et Nerkowska de 2008.
Cette affaire concerne une ressortissante polonaise, Mme Zablocka-Weyhermüller, épouse d’un ressortissant allemand bénéficiant d’une pension d’invalidité accordée par l’Allemagne au titre de grand mutilé de guerre. Au décès de son mari, Mme Zablocka-Weyhermüller a fait une demande pour obtenir la réversion complète de sa pension en tant que veuve de guerre. Dans sa demande, elle a annoncé aux autorités allemandes son souhait de transférer son domicile en Pologne.
Suite à sa requête, les autorités allemandes lui ont accordé une partie seulement des prestations d’invalidité que recevait son mari, l’octroi de l’autre partie étant suspendu en raison de son déménagement en Pologne. Etant donné que le montant de la pension reçu était inférieur à celui qu’elle aurait pu obtenir en gardant son domicile en Allemagne, Mme Zablocka-Weyhermüller a recouru contre cette décision en invoquant son statut de citoyenne de l’Union européenne. Le juge national compétent a posé une question préjudicielle à la Cour de justice aux fins de déterminer si la législation allemande était conforme à la liberté de circulation, en particulier à l’article 18 CE.
Selon la Cour de justice, les prestations en faveur des victimes de guerre relèvent de la compétence exclusive des Etats membres. Elles ne bénéficient pas de la coordination de la sécurité sociale au sens du règlement n°1408/71 et sont également exclues de la notion d’avantage social du règlement n°1612/68 car ce type de prestations n’est pas accordé en vertu du travail ou de la résidence (voir l’arrêt Even de 1979 et sa confirmation dans l’arrêt Baldinger de 2004). Toutefois, depuis l’arrêt Tas Hagen, la Cour de justice considère que l’octroi de prestations de guerre relève du droit communautaire dans la mesure où l’exercice de cette compétence exclusive doit respecter le droit de libre circulation et de séjour de l’article 18 CE. En l’occurrence, le refus d’un Etat membre d’accorder une pension complète à un citoyen au seul motif qu’il a changé de domicile relève du droit communautaire car cette mesure a une incidence sur sa liberté de circuler et séjourner librement dans l’Union.
La Cour de justice estime que la condition de résidence imposée en l’espèce par l’Allemagne constitue une entrave à la libre circulation des citoyens du moment qu’elle pénalise le départ des citoyens et les dissuadent, par conséquent, de faire usage de leur liberté dans un autre Etat membre. Cet obstacle à la liberté de circulation peut toutefois se justifier par des considérations objectives d’intérêt général indépendantes de la nationalité des personnes concernées et proportionnées à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national.
L’Allemagne, comme les Pays-Bas et la Pologne dans les affaires Tas-Hagen, respectivement Nerkowska, a cherché à invoquer de telles considérations. Contrairement aux deux autres Etats membres, l’Allemagne ne pouvait se prévaloir du fait que l’obligation de solidarité d’un Etat membre pouvait se limiter aux seules personnes qui ont eu un lien avec le peuple de ce même Etat durant et après la guerre, la résidence établissant un tel lien. Un tel degré de rattachement ne pouvait en effet être légitimement invoqué par l’Allemagne dès lors que cet Etat permettait déjà le versement d’une partie de ces prestations dans certains Etats.
En revanche, pour justifier la condition de résidence, l’Allemagne s’est prévalue, à l’instar de la Pologne dans le cas Nerkowska, de la nécessité de contrôler la situation du bénéficiaire de prestations d’invalidité, notamment vérifier l’existence d’éventuels changements pouvant avoir une incidence sur le droit à ces prestations. En l’occurrence, il s’agissait de pouvoir vérifier l’état des revenus du bénéficiaire. La diminution des prestations en cas de changement de résidence a toutefois été considérée par la Cour de justice comme une mesure allant au-delà de ce qui était nécessaire pour contrôler les revenus d’une personne, d’autant plus que l’Allemagne n’exigeait pas l’application de tels contrôles dans d’autres Etats membres où ce type de prestations était également exportable.
Enfin, l’Allemagne a justifié la diminution du montant de la pension en cas d’exportation par la prise en compte des différences actuelles entre le coût de la vie, le revenu et le montant moyen des prestations sociales versées en Allemagne et ceux dans l’Etat où réside le bénéficiaire. Cette considération, bien que jugée légitime par la Cour de justice, n’a pas été admise en l’espèce car l’Allemagne ne prévoyait aucune modification du montant de la prestation selon le pays en cause, permettant notamment l’exportation du même montant en Albanie ou en Russie où le coût de la vie est notablement plus faible qu’en Pologne, sans qu’il ne soit procédé à aucun ajustement. En tout état de cause, la Cour a jugé qu’un Etat membre ne pouvait légitimement soutenir que la suspension de certaines prestations était à considérer comme une adaptation de leur montant.
La Cour a ainsi conclu à la non-conformité de la législation allemande qui refuse le versement de certaines prestations octroyées aux conjoints survivants de victimes de la guerre au seul motif qu’ils résident en Pologne.
Cet arrêt se situe dans la continuation des autres affaires relatives aux prestations en faveur de victime guerre et nous a permis de rappeler les limites de la compétence des Etats membres concernant les modalités d’octroi de telles prestations. Cette affaire constitue, de plus, le dernier exemple en date de l’élargissement progressif du champ d’application matériel du Traité qui, grâce à la liberté de circulation de l’article 18 CE, s’étend désormais à l’ensemble du droit des Etats membres. Il sera dorénavant difficile à la Cour de justice d’exclure d’autres domaines de compétences exclusives des Etats membres du champ du Traité et, par conséquent, d’éviter leur examen sous l’angle des « entraves » à la liberté de circulation. Il ne devrait plus être exclu, par exemple, que la Cour examine à la lumière de l’article 18 CE le refus d’un Etat membre de maintenir les droits politiques de ses ressortissants lorsqu’ils résident dans un autre Etat membre. Afin de ménager les compétences exclusives des Etats membres, il faut s’attendre toutefois à une nouvelle série de considérations objectives admises par la Cour qui pourront justifier ce type d’entraves et compenser cette ouverture du champ d’application matériel.
Reproduction autorisée avec indication : Silvia Gastaldi, "Exportation de prestations en faveur de victimes de guerre : confirmation de la jurisprudence", www.ceje.ch, actualité du 16 janvier 2009.