La Cour constitutionnelle polonaise s’est prononcée récemment sur la constitutionnalité de la loi relative à l’impôt sur le revenu des personnes physiques, portant sur la déductibilité de cotisations d’assurance maladie et de sécurité sociale. Dans les motifs de son arrêt (PDF, en polonais), la Cour a tenu compte de l’influence de la loi sur le droit communautaire constatant que les dispositions en cause ne favorisaient pas la pleine réalisation du principe de libre circulation des personnes, dans la mesure où elles étaient susceptibles de dissuader les citoyens d’exercer une activité professionnelle dans un autre Etat membre de l’Union européenne.
La Cour a été saisie par l’Ombudsman qui soutenait que, au regard des articles 26, et 27b de la loi précitée, les personnes physiques résidant sur le territoire polonais et soumises, de ce fait, à l’imposition en Pologne, ne pouvaient pas déduire des cotisations d’assurance maladie et de sécurité sociale versées dans un autre Etat membre de l’Union européenne en raison d’une activité exercée dans cet Etat, même si ces cotisations n’ont pas été déduites de l’impôt payé dans ce dernier Etat. Selon l’Ombudsman, l’impossibilité de déduire des cotisations constituait une discrimination à l’égard des personnes travaillant à l’étranger et une violation notamment de la libre circulation des travailleurs (article 39, paragraphe 1, TCE). La Cour constitutionnelle a tout d’abord confirmé que le législateur polonais avait limité le droit de déduction de l’impôt aux cotisations versées dans le cadre des systèmes nationaux de sécurité sociale et d’assurance maladie. Elle a ensuite jugé que le lieu d’exercice du travail et de versement des cotisations (Pologne ou autre pays) ne constituait pas un élément pertinent, susceptible de justifier le traitement différencié des contribuables soumis à l’imposition illimitée en Pologne. La Cour a également souligné que le principe constitutionnel de la justice sociale était lié au principe de la justice fiscale qui impliquait l’universalité et l’égalité des obligations fiscales. Une telle égalité n’était pas respectée si les contribuables résidant en Pologne et travaillant à l’étranger ne pouvaient pas bénéficier des allégements d’impôts en cause, de sorte qu’ils se voyaient "pénalisés" en raison de l’exercice d’un travail en dehors du territoire polonais. La Cour a conclu que les articles mis en cause étaient contraires à l’article 32 de la Constitution (principe de l’égalité), lu en combinaison avec l’article 2 de celle-ci (principe de la justice sociale), dans la mesure où ils excluaient la faculté pour les contribuables résidents, qui tiraient un revenu d’une activité exercée dans un autre État membre de l’UE, de déduire, aux fins de l’impôt sur le revenu, des cotisations d’assurance maladie et de sécurité sociale versées en raison de cette activité, lorsque ces cotisations n’ont pas été déduites dans l’État membre sur le territoire duquel l’activité a été exercée. La perte de la force obligatoire des articles censurés a été différée par la Cour constitutionnelle jusqu’au 30 novembre 2008.
Dans la présente décision, la Cour constitutionnelle a examiné non seulement la question de la constitutionnalité de la loi incriminée mais également son influence sur les libertés garanties par le droit communautaire. Soulignant que l’examen de la conformité d’une législation nationale avec le droit communautaire ne relevait pas de sa compétence, elle a rappelé que l’article 91 de la Constitution commandait à l’autorité nationale d’interpréter le droit interne conformément au droit communautaire. Elle a mis l’accent sur le principe de la coopération loyale de l’article 10 TCE, selon lequel tous les organes internes des Etats membres, y compris les organes administratifs, doivent interpréter et appliquer le droit national de manière à assurer la pleine efficacité des droits et libertés garantis par le droit communautaire. Par ailleurs, elle a observé que depuis son adhésion à l’Union européenne, la Pologne devait se conformer au principe d’interprétation conforme tel que développé par la Cour de justice des Communautés européennes dans l’arrêt Marleasing de la Cour de justice (CJCE, Marleasing, arrêt du 13 novembre 1990, aff. C-106/89, Rec. 1990, p. I-04135). Sur la base de ce principe, elle a conclu que la législation nationale en question ne favorisait pas la pleine réalisation des libertés fondamentales du traité, notamment de libre circulation des personnes dans la mesure où elle était susceptible de dissuader les citoyens polonais d’exercer une activité professionnelle dans un autre Etat membre de l’Union européenne.
L’arrêt de la Cour constitutionnelle souligne le rôle important que les juridictions nationales ont à jouer dans le cadre de l’interprétation du droit interne conformément au droit communautaire afin d’assurer la pleine efficacité de ce dernier. L’arrêt démontre par ailleurs que le processus visant à éliminer les obstacles législatifs empêchant la pleine réalisation des objectifs communautaires dans les nouveaux Etats membres de l’Union européenne est long et complexe. Toutefois, la prise en considération par la juridiction constitutionnelle polonaise de la nouvelle hiérarchie des normes résultant de l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne prouve que le pays poursuit l’objectif d’intégration de manière déterminée et efficace.
Reproduction autorisée avec indication : Beata Jastrzebska, "La Cour constitutionnelle polonaise et la nécessité de garantir l’efficacité du droit communautaire", www.ceje.ch, actualité du 14 mai 2008.