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Vers un droit à l’exportation des aides à la formation dans l’UE ?

Silvia Gastaldi , 19 avril 2007

L’avocat général Colomer a présenté, le 20 mars 2007, des conclusions qui pourraient remettre en cause le système allemand d’aides aux études et constituer l’embryon d’un droit à l’exportation des bourses d’études dans un autre Etat membre (affaires Morgan et Bucher, C-11/06 et C-12/07). L’affaire concerne deux jeunes filles allemandes auxquelles l’Allemagne a refusé une aide à la formation dans un autre Etat membre. La première, Mme Morgan, a souhaité entreprendre des études de génétique à l’Université de Bristol après une année passée en tant que fille au pair au Royaume-Uni ; la deuxième, Mme Bucher, a déménagé avec son compagnon de Bonn à Düren (Allemagne) et commencé des études d’ergothérapie de l’autre côté de la frontière, à Heerlen aux Pays-Bas.

Le système allemand prévoit des aides pour les étudiants allemands se rendant à l’étranger pour y suivre une formation, mais uniquement à la condition que cette formation constitue la prolongation d’une formation similaire suivie pendant une année dans un établissement allemand. La législation allemande prévoit toutefois une dérogation à cette condition de l’année d’étude préalable pour les étudiants ayant un domicile permanent près des frontières allemandes. Mme Morgan et Mme Bucher se sont toutes deux vues refuser une aide à la formation car elles ne satisfaisaient pas la condition de l’année d’étude préalable en Allemagne, respectivement du domicile permanent dans la zone frontalière. La juridiction nationale s’est interrogée sur la compatibilité du régime allemand avec le droit à la libre circulation des personnes (article 18 CE) et a posé une question préjudicielle à la Cour de justice.

L’exigence de l’année d’étude préalable en Allemagne n’empêche pas les étudiants allemands de se rendre dans d’autres Etats de l’Union pour suivre une formation, mais elle engendre, selon l’avocat général Colomer, des inconvénients qui la rendent contraire à l’article 18 CE. D’une part, le fait d’imposer un lien entre la formation en Allemagne et celle effectuée à l’étranger limite le choix des études et peut obliger les étudiants à renoncer à l’aide financière pour cause d’absence d’équivalence des programmes de formations ou de l’inexistence de certaines spécialisations en Allemagne. D’autre part, le fait de passer la première année dans un établissement allemand rend le départ de l’étudiant plus difficile en raison des relations personnelles et matérielles qui se sont nouées dans le premier établissement. Ces facteurs sont de nature à dissuader les étudiants de s’inscrire dans les universités d’autres Etats membres et constituent de ce fait un obstacle à la libre circulation des étudiants. Cet obstacle pourrait se justifier par la nécessité d’établir un « lien réel » entre l’étudiant et son Etat d’origine ainsi que par les insuffisances budgétaires de cet Etat membre. Il serait pourtant préférable pour la libre circulation de démontrer l’existence de ce « lien réel », non pas par le début des études dans l’Etat membre, mais par le séjour habituel de l’étudiant dans cet Etat avant le début de sa formation à l’étranger. Cette solution correspond au régime d’aides finlandais qui exige un séjour de deux ans en Finlande dans les cinq ans précédant le séjour à l’étranger. Quant aux aspects budgétaires, l’avocat général concède que le manque de fonds publics pourrait empêcher le financement de l’exportation des aides dans un autre Etat membre. Il considère toutefois qu’il serait préférable de distribuer les ressources en privilégiant les aides aux étudiants les plus capables et les plus méritants. L’avocat général juge ainsi la condition de l’année de formation préalable dans un établissement allemand aux fins de l’obtention d’une aide à la formation dans d’autres Etats membres contraire à l’article 18 CE.

La dérogation à la règle de l’année d’étude préalable prévue par la législation allemande ne s’applique qu’aux étudiants ayant un domicile permanent dans une zone transfrontalière. Ce régime dérogatoire se fonde sur une politique régionale cherchant à compenser les préjudices causés aux citoyens vivant à peu de distance d’un autre Etat, notamment en leur permettant de choisir une formation dans l’établissement d’un autre Etat membre mais proche de leur domicile. L’exigence d’un domicile « permanent » dans l’Etat membre exclut cependant les étudiants qui ont choisi de résider dans une zone transfrontalière uniquement à des fins de formation. En refusant les aides à la formation aux étudiants qui ont déménagé afin de pouvoir assister aux cours du pays voisin, l’Allemagne porte atteinte à la libre circulation des étudiants. La condition du domicile « permanent » n’est de plus pas proportionnelle car l’existence d’un lien avec le système éducatif national pourrait être démontrée par l’existence d’un domicile habituel en Allemagne, tant au début des études que pendant la période de formation. De surcroît, l’exigence d’une corrélation entre l’octroi de l’aide et les résultats des étudiants constituerait un moyen plus équitable et moins restrictif pour la libre circulation. Ce régime dérogatoire est donc contraire à l’article 18 CE.

Si les conclusions de l’avocat général étaient reprises par la Cour de justice, elles pourraient entraîner d’importantes modifications tant au niveau du financement des systèmes de bourses existants qu’au niveau des critères d’attribution de telles aides aux étudiants dans les Etats membres. L’avocat général rend toutefois attentif aux dangers de la remise en cause, au titre de l’article 18 CE, des systèmes existants d’aides à la formation dans un autre Etat membre, estimant que les possibilités d’exportation ne devraient pas être illimitées. Il reprend le raisonnement de son collègue Geelhoed dans l’affaire Hartmann qui explique que « si les Etats membres sont tenus de ne pas imposer de restrictions à leurs ressortissants désirant transférer leur résidence dans un autre Etat membre, ils ne sont pas non plus tenus de leur octroyer une prime au départ » (Conclusions présentées le 28 septembre 2006, aff. C-212/05). Ainsi, les réglementations nationales relatives à l’exportation des aides à l’étranger pourraient légitimement comprendre des limitations proportionnées, portant sur des aspects économiques ou sur les résultats des étudiants, ainsi que prévoir des incompatibilités, notamment en cas d’obtention d’une bourse dans l’Etat d’accueil et exclure les abus et l’enrichissement sans cause des étudiants.

L’avocat général confirme que le droit communautaire n’impose aucune obligation aux Etats membres en matière d’aides à la formation en dehors de leur territoire, mais considère qu’à partir du moment où les Etats membres prévoient de telles aides, ils doivent respecter le droit de l’Union. En faisant entrer de telles aides dans le champ d’application de l’article 18 CE, les conclusions confortent en partie l’idée de la doctrine que l’impossibilité d’exporter une aide à la formation constitue une entrave à libre circulation des personnes. Les conclusions pourraient ainsi constituer le premier pas vers un droit à l’exportation des bourses d’études d’un Etat membre à l’autre, incitant les étudiants à se prévaloir de l’article 18 CE lorsque leur Etat membre d’origine ne prévoit que des aides à la formation réservées au territoire national. Ils pourraient ainsi obtenir l’exportation de celles-ci aux fins d’entreprendre une formation complète dans un autre Etat membre. Une étape supplémentaire serait ainsi franchie par rapport au programme Erasmus/Socrates qui garantit une bourse d’étude pour une formation dans un autre Etat membre, mais uniquement pour une durée limitée dans le cadre d’un échange entre établissements.

Le débat sur les rôles respectifs de l’Etat d’origine et de l’Etat d’accueil dans la réalisation d’une véritable mobilité estudiantine en Europe est relancé. Il sera intéressant de découvrir la position de la Cour de justice, tant au niveau du droit à l’exportation des bourses d’entretien qu’au niveau des limites d’application de l’article 18 CE.


Reproduction autorisée avec indication : Silvia Gastaldi, "Vers un droit à l’exportation des aides à la formation dans l’UE ?", www.ceje.ch, actualité du 19 avril 2007.