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Le non-respect par le Luxembourg de la liberté d’établissement des avocats au sens la directive 98/5

Sébastien Bois , 4 octobre 2006

Dans l’arrêt Commission européenne contre Luxembourg du 19 septembre 2006 (aff. C-193/05), la Cour de justice constate le non-respect par le Luxembourg de la directive 98/05 du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un Etat membre autre que celui où la qualification a été acquise.

La Commission agit contre le Luxembourg suite à la réception d’une plainte émanant d’avocats ressortissants d’autres Etats membres de l’Union européenne faisant état de l’existence d’entraves à l’exercice permanent de la profession d’avocat au Luxembourg. Les entraves sont au nombre de trois, à savoir premièrement que la législation subordonne l’inscription des avocats ressortissants d’autres Etats membres de l’Union européenne au tableau de l’un des ordres des avocats institués au Luxembourg à un contrôle de connaissances linguistiques. Deuxièmement, ces mêmes avocats établis au Luxembourg se voient refuser par le droit national l’exercice des activités de domiciliation de sociétés au Luxembourg. Troisièmement, la législation luxembourgeoise impose à ces avocats exerçant au Luxembourg de fournir chaque année à l’autorité compétente une attestation d’inscription auprès de l’autorité compétente de l’Etat membre d’origine

La Cour examine les trois griefs invoqués par la Commission à l’encontre du Luxembourg.

S’agissant du contrôle préalable des connaissances linguistiques imposé à tout avocat ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne souhaitant s’établir au Luxembourg, la Cour rappelle que la directive 98/5 a pour but l’harmonisation complète des conditions préalables requises pour l’usage du droit conféré par celle-ci. La présentation à l’autorité de l’Etat membre d’accueil d’une attestation d’inscription auprès de l’autorité compétente de l’Etat membre d’origine est l’unique condition à laquelle doit être subordonnée l’inscription de l’intéressé dans l’Etat membre d’accueil. Se basant sur l’arrêt Luxembourg/Parlement et Conseil du 7 novembre 2000 (aff. C-168/98, Rec. 2000 p. I-9131), la Cour relève que le législateur n’a pas voulu d’un système de contrôle a priori des connaissances des intéressés dans le but de faciliter au maximum la liberté d’établissement des avocats migrants. En réponse aux inquiétudes du gouvernement luxembourgeois, la Cour considère que la directive 98/5 contient un nombre suffisant de règles visant à assurer la protection des justiciables ainsi qu’une bonne administration de la justice. L’article 4 de la directive 98/5 impose aux avocats ressortissants d’autres Etats membres de l’Union européenne d’exercer dans l’Etat membre d’accueil sous leur titre professionnel d’origine, permettant ainsi aux justiciables de distinguer les avocats ayant obtenu leur titre au Luxembourg des avocats qui ont obtenu leur qualification dans un autre Etat membre. L’article 5 § 3 de la directive précitée concerne la représentation et la défense d’un client en justice. Il permet aux Etats membres d’imposer aux avocats ressortissants d’autres Etats membres de l’Union européenne d’agir de concert avec un avocat exerçant auprès de la juridiction saisie, lequel peut être tenu pour responsable s’il y a lieu. La Cour relève en outre que les articles 6 et 7 de la directive 98/5 soumettent l’avocat ressortissant d’un autre Etat membre de l’Union européenne au respect des règles professionnelles et déontologiques de l’Etat membre d’origine, mais aussi de celles de l’Etat membre d’accueil et note que, parmi les règles déontologiques les plus fréquemment appliquées à la profession d’avocat, figure l’obligation de ne pas traiter des affaires dont les professionnels en cause savent ou devraient savoir qu’elles échappent à leur compétence, notamment en raison de leurs mauvaises connaissances linguistiques. Enfin, l’article 10 de la directive 98/5 impose à l’avocat ressortissant d’un autre Etat membre de l’Union européenne l’exercice une activité effective et régulière d’au moins trois ans dans le droit de l’Etat membre d’accueil, ou en cas de durée inférieure, de toute autre connaissance, formation ou expérience professionnelle en rapport avec ce droit. Une telle mesure permet ainsi à l’avocat ressortissant d’un autre Etat membre de l’Union européenne de se familiariser avec la langue ou les langues de l’Etat membre d’accueil.

Au sujet de l’interdiction pour les avocats ressortissants d’un autre Etat membre de l’Union européenne d’exercer des activités de domiciliation de sociétés au Luxembourg, la Cour se base sur les articles 2 et 5 de la directive 98/5 ; selon lesquels, l’avocat ressortissant d’un autre Etat membre de l’Union européenne est en droit de pratiquer les mêmes activités professionnelles que l’avocat ayant obtenu son titre dans l’Etat membre d’accueil, sous réserve des exceptions prévues aux paragraphes 2 et 3 de l’article 5. Les activités de domiciliation de sociétés ne faisant pas partie de ces exceptions, il n’y a pas lieu d’envisager une quelconque interdiction à l’encontre des avocats européens souhaitant exercer une pareille activité dans l’Etat membre d’accueil. Quant au risque de dérives évoqué par le gouvernement luxembourgeois, la Cour rappelle l’existence de règles professionnelles et déontologiques suffisantes pour éviter un tel risque de dérive, lesquelles prévoient notamment une obligation d’assurance de responsabilité professionnelle ou d’affiliation à un fond de garantie professionnelle ainsi qu’un régime disciplinaire associant les autorités compétentes de l’Etat membre d’origine et celles de l’Etat membre d’accueil.

S’agissant de l’obligation de produire chaque année une attestation d’inscription auprès de l’autorité compétente de l’Etat membre d’origine, la Cour tient les réglementations luxembourgeoises pour disproportionnées par rapport à l’objectif recherché. Elle rappelle l’existence de l’article 7 § 2 de la directive 98/5, selon lequel l’autorité compétente de l’Etat membre d’origine informe l’autorité compétente du ou des Etats membres d’accueil des cas d’ouverture d’une procédure disciplinaire contre l’avocat exerçant en dehors du premier Etat membre sous son titre professionnel d’origine. En outre, l’article 13 de la directive précitée oblige les autorités compétentes de l’Etat membre d’origine et de l’Etat membre d’accueil à collaborer étroitement et à se prêter assistance mutuelle. La Cour estime que de telles mesures permettent à l’autorité de l’Etat membre d’accueil de s’assurer du respect permanent, par l’avocat ressortissant d’un autre Etat membre de l’Union européenne, de la condition d’inscription auprès de l’autorité compétente de l’Etat membre d’origine.

La Cour parvient ainsi à la conclusion que le droit national est contraire aux exigences de la directive 98/5 et que par conséquent le Luxembourg a manqué à ses obligations résultant du droit communautaire.


Reproduction autorisée avec indication : Sébastien Bois, "Le non-respect par le Luxembourg de la liberté d’établissement des avocats au sens la directive 98/5", www.ceje.ch, actualité du 4 octobre 2006.