Dans un arrêt rendu le 24 novembre 2016 dans l’affaire SECIL c Fazenda Pública, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur le rapport entre les dispositions des accords conclus avec la Tunisie et le Liban en matière de libre circulation des capitaux et les dispositions pertinentes des traités fondateurs, à savoir les articles 63 à 65 TFUE.
SECIL est une société ayant son siège au Portugal et soumise à l’impôt sur les sociétés dans cet État membre. Elle a acquis une partie du capital social de deux autres sociétés, la première ayant son siège en Tunisie et la seconde au Liban. Les dividendes perçus de ces deux sociétés ont été imposés au Portugal sans faire l’objet d’aucun mécanisme d’élimination ou d’atténuation de la double imposition. SECIL considère que, en excluant l’application des règles d’élimination de la double imposition, le code de l’impôt sur le revenu des personnes morales portugais (CIRC) viole les accords conclus avec la Tunisie et le Liban, ainsi que le TFUE.
La juridiction de renvoi demande à la Cour de justice de l’Union européenne de vérifier si les dispositions du TFUE et des accords euro-méditerranéens s’opposent à un tel traitement fiscal. Celle-ci commence par confirmer que le champ d’application matériel de l’article 63 TFUE englobe une situation telle que celle du litige au principal. Elle considère également que, dans le cas d’espèce, une restriction à cette liberté fondamentale s’est produite. En effet, en vertu de l’article 46 du CIRC, une société portugaise qui perçoit des dividendes distribués par d’autres sociétés portugaises peut déduire ces dividendes de sa base d’imposition alors qu’elle ne peut pas le faire lorsqu’il s’agit de dividendes distribués par des sociétés ayant leur siège dans des États tiers. Cette différence de réglementation risque de dissuader les sociétés résidentes au Portugal d’investir leurs capitaux dans des sociétés établies dans des États tiers (point 50).
La Cour de justice de l’Union européenne considère, toutefois, que cette différence de traitement peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, notamment par la nécessité d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux. Cette justification ne serait applicable que s’il s’avérait impossible pour les autorités portugaises de vérifier que la société a déjà été assujettie à l’impôt sur les sociétés dans les États tiers concernés, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier (points 64 et 68).
En matière de libre circulation de capitaux, une particularité existe néanmoins par rapport aux autres libertés fondamentales puisque l’article 64, paragraphe 1, TFUE prévoit une dérogation. Cette disposition stipule que les restrictions aux mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers existant au 31 décembre 1993 ne constituent pas une entrave à la libre circulation reconnue par l’article 63 TFUE. Dans le cas du Portugal, le CIRC datant du 30 novembre 1988 pourrait potentiellement bénéficier de cette dérogation.
Afin de vérifier si la dérogation est applicable, la Cour de justice analyse l’effet des accords euro-méditerranéens sur l’ordre juridique de l’Union et des États membres. Les articles 34, paragraphe 1, de l’accord CE-Tunisie et 31 de l’accord CE-Liban prévoient une libéralisation de la circulation des capitaux entre les États membres et les deux États tiers partenaires. Pour que ces dispositions soient invocables dans le cas d’espèce, la Cour de justice rappelle qu’il est nécessaire qu’elles aient un effet direct. Dans le cas d’un accord conclu entre l’Union européenne et des États tiers, l’effet direct exige que les dispositions comportent « une obligation claire et précise qui n’est subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte ultérieur» (point 96). L’analyse des dispositions litigieuses mène la Cour de justice à conclure que, effectivement, ces articles sont d’effet direct.
Cela étant, la Cour affirme qu’un État membre qui conclut un accord international contenant de telles dispositions avec un État tiers renonce en fait à la faculté accordée par l’article 64, paragraphe 1, TFUE puisque, autrement, lesdites dispositions de l’accord perdraient leur effet utile (point 90). Il n’y a donc pas lieu d’appliquer la dérogation contenue à l’article 64, paragraphe 1, TFUE dans le cas d’espèce ; au contraire, il faut appliquer les dispositions des accords euro-méditerranéens.
Par un raisonnement similaire à celui accordé à l’article 63 TFUE, la Cour de justice affirme par la suite que le traitement fiscal désavantageux mis en place par le Portugal constitue une violation des dispositions relatives à la libre circulation des capitaux contenues dans les accords. Tout comme dans le cas des traités, la restriction peut, toutefois, être justifiée par la nécessité d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux. La particularité des accords euro-méditerranéens est que la justification qui peut être apportée aux restrictions est entendue de manière plus large. En d’autres termes, il sera plus difficile d’admettre qu’il existe une restriction puisque l’objectif des accords n’est pas, contrairement aux dispositions des traités, la création d’un marché intérieur (points 125-128).
En conséquence, la Cour conclut que le CIRC constitue une restriction à la libre circulation des capitaux non seulement en vertu des traités fondateurs mais aussi des accords euro-méditerranéens. Cette restriction peut, dans les deux cas, être justifiée, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Elisabet Ruiz Cairó, "Rapport entre les accords « Tunisie » et « Liban » et les dispositions en matière de libre circulation des capitaux du TFUE", actualité du 6 décembre 2016, www.ceje.ch