Dans un arrêt rendu, le 3 novembre 2016, dans l’affaire R (Miller) v Secretary of State for Exiting the EU, la High Court of Justice a été amenée à se prononcer sur la procédure à suivre pour déclencher l’application de l’article 50 TUE. Il s’agit du premier arrêt sur cette question après le référendum du 23 juin 2016, optant pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.
L’article 50 TUE établit, au premier paragraphe, que « tout Etat membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union » et, au deuxième paragraphe, que, pour ce faire, il devra notifier son intention au Conseil européen. Cette disposition du traité, qui résulte des modifications apportées par le traité de Lisbonne, n’a jamais été appliquée jusqu’à présent et de nombreuses questions se posent. Qui est notamment compétent dans un Etat membre pour déclencher la procédure de l’article 50 ? Cette question relève du droit constitutionnel national.
Dans le cas d’espèce, les requérants demandent si le pouvoir exécutif est compétent pour notifier l’intention du Royaume-Uni de se retirer de l’Union européenne. Pour répondre à cette question, la High Court of Justice part du principe que la notification du gouvernement déclarant la volonté de quitter l’Union européenne serait irrévocable (point 10). Cette prémisse n’est pas discutée ni argumentée par la Cour puisque les parties au litige sont d’accord sur ce point. Cependant, il est tout à fait discutable qu’une telle affirmation puisse être faite sans aucun argument juridique vu que la réponse est loin d’être évidente.
Certains auteurs soutiennent qu’une notification de ce type est révocable (ceci a été appelé « the withdrawal of the withdrawal ») ce qui semble cohérent avec la procédure d’adhésion à l’Union européenne (la Suisse a, par exemple, retiré sa demande d’adhésion récemment). Ceci semblerait également en ligne avec la Convention de Vienne sur le droit des traités, laquelle prévoit à l’article 68 que la notification de la demande de retrait d’un traité international peut être révoquée à tout moment avant qu’elle ait pris effet. Toutefois, à la lecture de l’article 50, paragraphe 3, TUE la réponse ne semble pas certaine puisque « les traités cessent d’être applicables à l’Etat concerné (…) deux ans après la notification ». Cette disposition semble très précise et la notification semble l’élément déclenchant le délai pour que les traités cessent d’être applicables, sans qu’une quelconque possibilité de révocation ne soit prévue.
La question de la révocabilité est d’autant plus importante que c’est de là que découle toute l’argumentation de la High Court of Justice. En effet, si la notification est irrévocable il s’agit d’une décision définitive avec des effets certains sur les individus, contrairement à ce qui arriverait si elle ne l’était pas.
La High Court of Justice examine ensuite les détails du système constitutionnel britannique. Elle explique que, en matière de relations internationales, le gouvernement mène les négociations d’accords internationaux. En revanche, le pouvoir exécutif n’a pas la compétence de modifier le droit interne britannique puisque les droits des individus ne peuvent pas être altérés sans l’intervention du parlement. Ainsi, le gouvernement peut conclure des accords internationaux, les dénoncer ou se retirer d’organisations internationales pour autant que cela n’entraîne pas de modifications dans le droit interne (points 33-34).
Ce principe constitutionnel est essentiel dans le cas d’espèce puisque, comme la High Court of Justice le met en avant, le droit de l’Union européenne a introduit trois catégories de droits dans le système juridique interne britannique : les droits qui pourraient être reproduits en droit interne (elle cite comme exemple les droits des travailleurs introduits par le règlement, non ? des travailleurs), les droits conférés aux personnes physiques et morales britanniques dans d’autres Etats membres (par exemple, les droits à la libre circulation), et les droits qui ne pourraient pas être reproduits en droit interne (comme le droit de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne). La High Court of Justice considère que les citoyens britanniques seraient privés de ces trois catégories de droits par la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (points 63-66).
Il découle de ce raisonnement que le gouvernement ne peut pas notifier l’intention du Royaume-Uni de se retirer de l’Union européenne. Cette décision étant irrévocable, cela entraînerait une privation certaine de droits dont sont titulaires les citoyens britanniques. Dès lors, la notification ne pourra intervenir qu’avec l’autorisation du parlement du Royaume-Uni.
Cet arrêt a été vu d’un mauvais œil par une partie de la population britannique qui a interprété cette décision comme une volonté du juge de rendre la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne encore plus complexe. Un recours a d’ailleurs été introduit devant la Supreme Court (cour suprême britannique) dont les plaidoiries se dérouleront à partir du 5 décembre 2016.
Il sera intéressant de voir si une question préjudicielle est posée à la Cour de justice de l’Union européenne. En vertu de l’article 267 TFUE, une juridiction de dernier recours, telle que la Supreme Court britannique, a l’obligation de référer les questions sur l’interprétation des traités à la Cour de justice mais il reste à voir si la juridiction britannique estime qu’une telle question se pose dans le cas d’espèce. Dans le cas contraire, certains auteurs ont déjà avancé différentes possibilités pour que la Cour de justice de l’Union européenne puisse intervenir dans l’interprétation de l’article 50 TUE.