Le mardi 5 avril 2016, Marc Vanheukelen, ambassadeur et représentant permanent de l’Union européenne auprès de l’OMC, a donné, au Centre d’études juridiques européennes de l’Université de Genève, une conférence au sujet des « priorités de l’Union européenne en matière de politique commerciale ».
Après avoir présenté les thématiques mises en avant par la Commission européenne dans sa dernière communication à ce sujet, publiée en octobre 2015, M. Vanheukelen a fait le point sur les voies de négociation possibles pour les mettre en place. Bien que la voie bilatérale semble actuellement être la préférée de l’Union européenne en matière de politique commerciale, il a été souligné que l’Union européenne ne tourne pas pour autant le dos au multilatéralisme.
Les effets bénéfiques du commerce international sont incontestables. Le commerce et les investissements internationaux sont des moteurs de croissance qui stimulent l’économie sans alourdir le budget de l’Etat. Par ailleurs, pour stimuler l’emploi, la croissance et l’investissement, l’Union européenne a toutes les raisons d’utiliser le commerce international. Elle est le premier exportateur et importateur mondial de biens et de services, considérés ensemble, et le commerce international génère 30 millions d’emplois au sein de l’Union. Une part importante de la croissance mondiale dans les quinze prochaines années se fera à l’extérieur de l’Europe. Il faudra donc puiser dans le dynamisme des autres.
Le poids considérable du commerce international dans l’Union européenne ayant été établi, il est cependant nécessaire de repenser la stratégie à suivre dans la matière. La politique commerciale ne peut plus se fonder sur les modèles économiques classiques. Aujourd’hui, l’économie de tous les pays avancés se base sur les « chaînes de valeur mondiales » où chaque étape de la chaîne de production se fait dans un pays différent. L’Union européenne doit renforcer la place de l’Europe dans cette chaîne d’approvisionnement. Pour cela, la politique commerciale de l’Union européenne doit faire face à sept priorités.
Tout d’abord, il faut promouvoir la libéralisation des services permettant un meilleur accès aux marchés internationaux. Les services s’internationalisent très vite grâce aux avancées numériques et il y a un lien de plus en plus étroit entre services et marchandises puisque les marchandises deviennent de plus en plus des « services en boîte ». Le marché des services ne peut donc plus être séparé de celui des marchandises.
Faciliter le commerce électronique devrait être la deuxième priorité puisque la révolution numérique gomme les barrières géographiques et offre un grand nombre d’opportunités commerciales. Il est légitime de se demander si les règles commerciales édictées au XXème siècle sont toujours adaptées. Un grand nombre de questions se posent encore à l’heure actuelle : comment rendre compatibles la libéralisation des flux et la censure de certains pays ? Est-ce qu’un opérateur doit pouvoir choisir où stocker ses données ? Qu’en est-il de la protection des données personnelles ?
La politique commerciale de l’Union européenne doit également promouvoir la mobilité temporaire des professionnels pour permettre l’internationalisation des activités dans tous les secteurs.
Il est ensuite nécessaire de renforcer la coopération internationale en matière de réglementation. Les entraves non tarifaires peuvent être la conséquence de visions essentiellement différentes mais aussi d’un simple manque de coordination. Ainsi, la production de législations de manière indépendante peut mener à des divergences qui sont ensuite difficiles à changer. De ce fait, une coopération en amont semble plus adaptée. Cette coopération ne doit pas restreindre le « droit de légiférer » puisqu’il s’agit d’une coopération réglementaire et non pas d’une négociation réglementaire.
La politique commerciale doit par ailleurs répondre à une gestion plus efficace du passage des biens à la frontière pour permettre la mise en place d’une vraie chaîne de valeur mondiale. Il faut espérer que l’accord de Bali sur la facilitation des échanges conclu en 2013 pourra entrer en vigueur en 2016.
Finalement, les priorités en matière de politique commerciale concernent l’accès aux matières premières et à l’énergie, de par la dépendance de l’UE à ces égards, et la protection effective des droits de propriété intellectuelle, ce qui est particulièrement important pour les PME.
Si ces sept axes doivent être les priorités de l’Union européenne en matière commerciale, cela doit s’accompagner de mécanismes qui tiennent compte de valeurs non-économiques qui ont gagné de l’importance dans les dernières années : une plus grande transparence qui ne soit pas sacrifiée sur la base du libre-échange, une meilleure prise en compte des potentiels perdants de l’ouverture des marchés et une attention accrue au processus de production des biens et des services importés qui réponde aux inquiétudes sociales, environnementales et de droits de l’homme du consommateur européen. La politisation de la politique commerciale à travers la participation plus importante du Parlement européen mène à une prise en compte croissante de l’opinion publique et le consommateur européen est soucieux des aspects négatifs de la globalisation. L’intégration de ces préoccupations dans la politique commerciale permettra que celle-ci soit véritablement une stratégie de « commerce pour tous » comme l’indique l’intitulé de la communication.
Reste la question de savoir dans quels forums l’Union européenne peut-elle participer pour promouvoir ces objectifs et, dans ce cadre-là, trois possibilités se présentent : la voie multilatérale, la voie plurilatérale et la voie bilatérale. Si la voie multilatérale semble être la préférable de par son impact, il est indéniable qu’il existe des divergences profondes entre certains membres essentiels de l’OMC. De ce fait, cette voie peut être utile pour offrir un socle minimum sur lequel se baser dans le cadre d’autres accords. La voie plurilatérale permet des accords plus faisables et quand même représentatifs. Cependant, le principal défi consiste à s’assurer que de tels accords fassent partie de l’architecture de l’OMC puisqu’ils ont été conclus par un nombre limité de membres de l’OMC mais qu’il faut l’accord de tous les membres pour être dans l’annexe 4 de l’accord OMC. Quant aux accords bilatéraux, ils sont plus faciles à conclure et permettent d’atteindre une vraie intégration économique, surtout quand les deux partenaires ont un niveau de développement similaire. Dans les dix dernières années, l’Union européenne a exploité principalement cette possibilité. Actuellement, un tiers des échanges de l’Union européenne sont couverts par des accords de libre-échange et, si toutes les négociations en cours aboutissent, on pourrait arriver à une proportion de deux tiers des échanges.
L’Union européenne ne tourne cependant pas le dos à la voie multilatérale mais elle veut être active sur les trois plans. Le bilatéralisme n’est pas conçu comme un rival du multilatéralisme mais il est vrai qu’il permet d’aborder des thèmes qui ne sont pas encore mûrs pour être consolidés au niveau multilatéral. De ce fait, le bilatéralisme se pose comme une sorte de laboratoire qui permet d’aborder les thématiques qui, par la suite, seront négociées au niveau multilatéral.
Elisabet Ruiz Cairó, "La voie bilatérale, un « laboratoire » pour poursuivre les priorités de l’Union européenne en matière de politique commerciale", Actualité du 6 avril 2016, www.ceje.ch