Le 10 Décembre 2015, le Tribunal de l’Union européenne a rendu un arrêt (Affaire T 512/12) suite à une requête introduite par le Front populaire pour la libération de la saguia-el-hamra et du rio de oro (Front Polisario) demandant l’annulation de la décision du Conseil, du 8 mars 2012, concernant la conclusion d’un traité modificatif de l’accord d’association entre l’Union européenne et le Maroc. Cet arrêt a été remarqué car il démontre que l’action de l’Union sur la scène internationale en matière d’association commerciale ne peut rester étrangère au respect des droits de l’homme.
En l’espèce, le Front Polisario contestait la légalité de la décision 2012/497/UE du Conseil approuvant une modification de l’accord d’association, laquelle avait en particulier pour objectif de libéraliser certains produits agricoles et de pêche. Pour le Front Polisario, cet accord modificatif est illégal, car il méconnait le droit du peuple sahraoui.
Le Conseil de l’Union européenne pouvait-il approuver un accord international portant potentiellement sur un territoire contesté en droit international ? Si oui, à quelles conditions ?
Au titre de la recevabilité, le Tribunal estime, contre l’avis du Conseil et de la Commission, partie intervenante au litige, que le Front Polisario est fondé à introduire un recours. Selon une interprétation de l’article 263 TFUE certes généreuse mais conforme à la jurisprudence antérieure, il estime que le Front Polisario est doté d’une certaine autonomie caractérisée par ses statuts et qu’il peut donc valablement être assimilé à une personne morale. La situation particulière de l’espèce tout comme la reconnaissance dont bénéficie le Front Polisario par les instances onusiennes semblent avoir été des points importants dans le raisonnement du Tribunal. L’intérêt individuel existe également puisque l’accord est susceptible de s’appliquer au Sahara occidental, le Maroc considérant que c’est une partie intégrante de son territoire.
Au titre de la légalité externe, sont invoqués la méconnaissance de l’obligation de motivation énoncée à l’article 296 TFUE et de l’obligation de consultation qui découlerait de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux. Reprenant un raisonnement constant, le Tribunal rappelle que l’obligation de motivation doit être adaptée à la nature de l’acte en cause. Lorsque ce dernier est un acte général, la motivation peut se limiter à un rappel du contexte et de la situation d’ensemble. De même, la protection offerte par l’article 41 de la charte ne s’applique pas au cas d’espèce, il s’agit d’assurer par cette disposition le droit d’être entendu lors de l’adoption d’une mesure individuelle, ou d’une mesure générale ayant des conséquences individuelles, inapplicable en l’espèce.
Au titre de la légalité interne de l’acte sont invoqués neuf moyens, tirés tant du droit de l’Union que du droit international public. Tous sont rejetés, le juge rappelant à de maintes reprises qu’il n’existe aucune disposition de droit européen interdisant de façon absolue à l’Union de conclure un accord avec un Etat tiers susceptible d’être appliqué à un territoire occupé. Les articles 6 TUE et 67 TFUE rappelant les obligations de l’Union en matière de respect des droits fondamentaux ne permettent pas de conclure le contraire. Il en va de même de l’article 111 TFUE qui rappelle l’objectif de développement durable, ou encore les article 2 et 21 TUE ainsi que 205 TFUE qui encadrent l’action européenne sur la scène internationale. Même constat pour l’article 208, paragraphe 2, TFUE à propos de l’action de l’UE dans le domaine de la coopération au développement. Le principe de cohérence n’est en rien bafoué tandis que le principe du respect de la confiance légitime ne trouverait pas à s’appliquer.
Les juges ne sont pas plus convaincus par les arguments tirés du droit international public. Après avoir pris soin de rappeler que l’Union européenne est « tenue de respecter le droit international», les juges admettent que « la validité d’un acte de l’Union peut être affectée par l’incompatibilité de cet acte avec de telles règles du droit international », pourvu qu’elle soit liée par ces règles. Mais le contrôle de validité ne pourra se faire que si la nature et l’économie du traité international de s’y opposent pas, et que si les dispositions de ce traité ont un contenu inconditionnel et suffisamment précis. Ce n’est pas le cas de la Convention de Montégo Bay invoquée par le requérant, comme l’avait déjà jugée la Cour de justice dans un arrêt du 3 juin 2009, ce que rappelle le tribunal. De même, l’invocation du droit à l’auto détermination du peuple sahraoui est vaine, car selon la cour l’accord ne reconnait pas la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental. Ne mentionnant pas le Front Polisario, l’accord ne l’oblige en rien et ne contrevient pas au principe de l’effet relatif des traités.
Le rejet de tous les moyens formulés par le requérant ne préjuge cependant pas de la décision finale. En effet, après avoir annoncé que les institutions de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation pour conclure un accord qui s’appliquera à un territoire disputé, c’est sur le terrain du contrôle de l’erreur manifeste que la décision est annulée. L’Union ne doit pas encourager la violation des droits fondamentaux dans un territoire occupé ou en profiter. Il en résulte que « Le Conseil doit examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents afin de s’assurer que les activités de production des produits destinés à l’exportation ne sont pas menées au détriment de la population du territoire en question ni n’impliquent de violations de ses droits fondamentaux » (pt 228 de l’arrêt). En l’espèce, les instituions de l’Union devaient donc s’assurer qu’il n’existait pas d’indice d’une exploitation des ressources du Sahara occidental en méconnaissance des droits fondamentaux de la population. Or le Conseil, comme le relève le Tribunal, n’apporte aucune preuve laissant penser qu’il a pris soin d’évaluer ce point. Il a donc manqué à l’obligation d’examiner tous les éléments de l’espèce ce qui entache sa décision de nullité.
On observe que l’obligation qui est faite aux institutions reste modeste car il est simplement question de prendre en considération tous les éléments du contexte afin de déterminer si l’accord est susceptible de participer indirectement à l’atteinte aux droits du peuple au territoire occupé. Il s’agit notamment de certains droits économiques (droit à la dignité, interdiction de l’esclavage, liberté du travail, droit de propriété, conditions de travail équitable) qui sont cités par le juge à la faveur de la Charte des droits fondamentaux. L’examen des fameux « éléments du contexte » de l’accord des fera donc selon une application extra territoriale de cet instrument européen. La question qui reste en suspend est celle où les éléments du contexte seraient pris en considération par le Conseil. Quel est le degré du contrôle que le juge exercera? Laissera-t-il un large pouvoir d’appréciation aux institutions, se contentant d’une simple allégation d’une prise en compte de la situation, où procèdera-t-il à un contrôle approfondi des dispositions de la Charte à la situation du territoire occupé ? Quel sera le seuil lui permettant d’annuler un accord sous prétexte que ce dernier « contribue à encourager indirectement de telles violations » ? En tout état de cause, les institutions de l’Union ne peuvent plus ignorer les conséquences de la politique commerciale européenne pour les populations des territoires occupés qui rentrent dans le champ d’application des accords d’association.
Damien Bouvier, "Annulation de la décision du Conseil modifiant l’accord d’association entre le Maroc et l’Union européenne eu égard à la situation au Sahara occidental", Actualité du 17 décembre 2015, www.ceje.ch