Dans sa jurisprudence relative à l’accord d’association CEE -Turquie, la Cour de justice s’est attachée à protéger les droits conférés par cet accord et les actes pris pour son application aux travailleurs turcs et aux membres de leurs familles, afin de renforcer leur insertion dans l’Etat membre d’accueil. L’arrêt du 29 mars 2012 s’inscrit dans la ligne de cette jurisprudence, en établissant qu’un membre de la famille d’un travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi d’un Etat membre ne saurait être privé du droit de demander le regroupement familial, sur le fondement de l’article 7, premier alinéa, de la décisionn° 1/80 du Conseil d’association, lorsque le travailleur turc a obtenu la naturalisation dans l’Etat membre concerné.
M. Kahveci et M. Inan sont respectivement le conjoint et le fils de deux travailleurs ressortissants turcs ayant obtenu la nationalité néerlandaise, tout en conservant la nationalité turque. A la suite de condamnations à des peines d’emprisonnement, ils ont été déclarés indésirables sur le territoire néerlandais. Dans le cadre du litige qui les oppose aux autorités nationales, ils ont fait valoir un droit de séjour au titre du regroupement familial, en vertu de l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80. Le Nederlandse Raad van Statea a adressé à la Cour de justice deux questions préjudicielles sur le point de savoir si la naturalisation d’un travailleur turc obtenue dans l’Etat membre d’accueil est susceptible d’exclure les membres de sa famille du bénéfice des droits prévus par la disposition invoquée.
Après avoir rappelé sa jurisprudence sur l’effet direct de l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 (arrêts du 17 avril 1997, Kadiman, C-351/95, Rec. p. I-2133; du 22 décembre 2010, Bozkurt, C-303/08, non encore publié au Recueil, et du 16 juin 2011, Pehlivan, C-484/07, non encore publié au Recueil), la Cour de justice indique que le droit d’accès à l’emploi et le droit de séjour conférés par cette disposition sont soumis à trois conditions: premièrement, que l’intéressé soit un membre de la famille d’un travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi de l’Etat membre d’accueil; deuxièmement, que le membre de la famille ait été autorisé à rejoindre ce travailleur, et, troisièmement, qu’il ait une résidence régulière dans cet Etat membre depuis au moins trois ans. S’agissant de la situation de M. Kahveci et de M. Inan, la Cour de justice estime que les trois conditions énoncées sont remplies. Il reste donc à déterminer si la naturalisation des travailleurs turcs auprès desquels les intéressés invoquent un droit au regroupement pourrait s’opposer à l’application en leur faveur de l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80.
C’est en considération de la finalité de l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80, qui consiste à favoriser le regroupement familial, que la Cour de justice considère que la naturalisation d’un travailleur turc ne saurait affecter les droits des membres de sa famille conférés par cette disposition. Il est, en effet, de jurisprudence établie que l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 vise à faciliter l’emploi et le séjour du travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi dans l’Etat membre d’accueil, en lui garantissant le maintien de ses liens de famille, d’une part, et à consolider la position des membres de sa famille dans l’Etat membre concerné, en lui donnant les moyens de gagner sa propre vie par la possibilité d’exercer un emploi, d’autre part. La finalité de la décision n° 1/80 serait donc « contrecarrée », comme l’indique la Cour de justice, si les membres de la famille d’un travailleur turc étaient exclus du champ d’application de cette disposition, en raison de la naturalisation de ce dernier.
Pour autant, la Cour de justice souligne que les droits conférés par l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 aux membres de la famille d’un ressortissant turc dans la situation de M. Kahveci et de M. Inan peuvent être limités sur le fondement de l’article 14, paragraphe 1, de ladite décision, c’est‑à‑dire pour des raisons d’ordre public, de sécurité et de santé publiques. A cet égard, les autorités nationales doivent procéder à une évaluation du comportement personnel des intéressés, afin de déterminer si ceux-ci représentent un danger grave, actuel et réel pour la société de nature à justifier des mesures spéciales à leur encontre.
Cet arrêt donne lieu à une prise de position importante de la Cour de justice concernant le statut juridique des travailleurs turcs et des membres de leurs familles reconnu par l’accord d’association CEE-Turquie, en précisant les limites au pouvoir des Etats membres de prendre des mesures d’éloignement à l’encontre de tels ressortissants.
Reproduction autorisée avec l’indication: Mihaela Nicola, "Naturalisation et droit au regroupement familial", www.ceje.ch, actualité du 25 avril 2012.