En réponse à une question qui lui a été formulée dans le cadre d’une demande de décision préjudicielle dans un litige opposant une société de droit grec au ministre des finances de cet Etat membre au sujet du remboursement d’une somme versée par ladite société à la suite du dédouanement d’un lot de bananes importées d’Equateur, au titre du droit d’accise sur les bananes établi à cette époque par la législation grecque, la Cour de justice a été amenée à interpréter la clause de la nation la plus favorisée qui figure à l’article 4 de l’accord de coopération conclu entre, d’une part, la Communauté économique européenne et, d’autre part, l’accord de Carthagène et ses pays membres, Bolivie, Colombie, Equateur, Pérou et Venezuela (aff. C‑160/09).
Au cours du mois de juillet 1993, à la suite du dédouanement d’un lot de bananes importé directement d’Equateur, la société s’est vu imposer le paiement de droits de douane et d’autres taxes pour un montant avoisinant les 20 000 euros, somme dont elle s’est acquittée en émettant toutefois une réserve concernant une partie de la somme payée au titre du droit d’accise. La société de droit grec a par la suite demandé le remboursement de cette dernière somme et de la quote-part correspondante de la taxe sur la valeur ajoutée, selon elle indûment versées.
Ce remboursement lui ayant été refusé par l’autorité douanière compétente, la société a saisi le tribunal administratif d’Athènes, qui a répondu favorablement à sa requête concernant l’annulation des avis d’imposition en cause et la demande de remboursement. La décision rendue en sa faveur a toutefois été réformée, et la personne morale s’est donc pourvue en cassation devant la juridiction suprême de l’Etat membre dont elle relève pour faire valoir les droits dont, selon elle, elle doit être au bénéfice.
Le Conseil d’Etat, contrairement à la requérante au principal, considère que le droit d’accise litigieux doit être qualifié d’imposition intérieure au sens de l’article article 90 du traité CE (devenu 110 du traité FUE depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne), et non pas de taxe d’effet équivalent à un droit de douane au sens des articles 23 et 25 du traité CE (respectivement devenus les articles 28 et 30 du traité FUE depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne). Or, une telle imposition intérieure pourrait être licitement appliquée aux bananes directement importées de pays tiers si un traitement fiscal moins favorable n’était pas exclu par des clauses spécifiques issues d’accords commerciaux liant l’Union européenne à ces pays tiers, tel l’article 4 de l’accord de coopération.
La juridiction nationale considère que l’octroi du traitement de la nation la plus favorisée aux pays membres de l’accord de Carthagène implique d’assimiler les bananes originaires de ces pays aux bananes provenant des Etats ACP. Ainsi, la possibilité pour la juridiction de renvoi d’apprécier la légalité d’un droit d’accise tel que celui en cause au principal dépendrait de la question de savoir si l’accord de coopération, et en particulier son article 4, ouvre des droits pouvant être directement invoqués par les particuliers devant les juridictions nationales des Etats membres. Dans une telle hypothèse, la société pourrait se prévaloir de la disposition, lue conjointement avec la clause de « standstill », à l’encontre du droit d’accise sur les bananes en cause au principal.
Le gouvernement grec conteste la recevabilité de la question préjudicielle, mais la Cour de justice estime à bon droit que les dispositions de l’accord de coopération, approuvé au nom de la Communauté (à l’époque), constitue, au regard de la jurisprudence constante, un acte pris par les institutions de l’Union européenne dont l’interprétation dans le cadre d’une procédure préjudicielle relève incontestablement de sa compétence. La juridiction de l’Union européenne relève en outre que la réponse à la question de savoir si un particulier peut se prévaloir devant les juridictions nationales de l’article 4 de l’accord de coopération déterminera si la personne morale peut invoquer utilement la clause de « standstill » sur laquelle est fondée l’argumentation qu’elle développe.
Au sujet de la question posée à la Cour de justice, à savoir celle de savoir si l’article 4 de l’accord de coopération peut être directement invoqué par un particulier dans le cadre d’un litige devant les juridictions nationales d’un Etat membre, la juridiction affirme, conformément à sa jurisprudence constante, que le fait que la disposition litigieuse figure dans un accord de coopération n’exclut pas par principe qu’un particulier puisse s’en prévaloir. Cependant, lorsqu’elle a eu l’occasion de se prononcer sur l’interprétation de la clause de la nation la plus favorisée figurant dans l’accord-cadre de coopération ayant succédé à l’accord de coopération, le juge de l’Union européenne a considéré que ladite clause ne pouvait pas être invoquée par un particulier devant une juridiction d’un Etat membre (Arrêt Van Parys du 1er mars 2005, aff. C-377/02). Dans l’affaire sous examen, la Cour de justice doit donc déterminer s’il existe des éléments permettant de s’écarter de cette appréciation quant à la clause de la nation la plus favorisée figurant dans l’accord-cadre de coopération en ce qui concerne l’interprétation de la clause de la nation la plus favorisée contenue dans l’accord de coopération.
Malgré une formulation différente des dispositions dans les deux accords, la juridiction supranationale constate que l’intention des parties contractantes ne pouvait en aucun cas être de conférer un effet direct à la nouvelle disposition. D’autant que l’accord-cadre de coopération, et en particulier son article 4, ne présentent pas de caractéristiques qui témoigneraient du fait que les parties contractantes seraient placées dans une position moins favorable par rapport à celle qui était la leur en vertu de l’accord de coopération, notamment au regard de la clause du traitement de la nation la plus favorisée.
Se fondant sur la nature et l’objet de l’accord-cadre de coopération, la Cour de justice constate que ce dernier a pour objet de renouveler et d’approfondir les engagements réciproques pris par les parties contractantes dans le cadre de l’accord de coopération. En effet, bien que reposant sur le même cadre institutionnel, l’accord-cadre prévoit une coopération plus large s’agissant du nombre de domaines concernés, d’une part, et plus poussée en ce qui a trait aux actions spécifiques envisagées, d’autre part.
De plus, les pays membres de l’accord de Carthagène n’étaient pas encore tous parties contractantes au GATT de 1947 au moment de l’adoption de l’article 4 de l’accord de coopération. Or, l’intention des parties à cet accord-cadre était d’étendre l’application du système élaboré dans le cadre du GATT de 1994 aux pays membres de l’accord de Carthagène, afin de leur accorder le bénéfice de la clause de la nation la plus favorisée figurant dans le GATT, sans en modifier la portée. Le même raisonnement vaut également en ce qui concerne l’accord de coopération, la rédaction de l’article 4 de ce dernier ne témoignant pas, à l’évidence, de la volonté des parties contractantes d’octroyer aux trois pays membres de l’accord de Carthagène non encore membres du GATT de 1947 des concessions commerciales allant au-delà de celles qu’elles avaient octroyées aux partenaires de leur « club ».
La Cour de justice conclut donc que l’article 4 de l’accord de coopération n’est pas de nature à conférer aux particuliers des droits dont ils pourraient se prévaloir devant les juridictions d’un Etat membre. Ainsi, la juridiction confirme sa jurisprudence Van Parys dans laquelle elle avait affirmé l’absence d’effet direct de la clause de la nation la plus favorisée incluse dans l’accord-cadre de coopération, et étend cette absence d’effet direct à la clause de la nation la plus favorisée inscrite à l’article 4 de l’accord de coopération conclu antérieurement entre les parties.
Reproduction autorisée avec indication : Marc Morel, "Absence d’effet direct de la clause de la nation la plus favorisée contenue dans des accords conclus par l’Union européenne avec des Etats tiers", www.ceje.ch, actualité du 3 juin 2010.