En réponse au recours en annulation intenté par le Parlement européen à l’encontre du règlement n° 1968/2006 du Conseil, du 21 décembre 2006, concernant les contributions financières de la Communauté au Fonds international pour l’Irlande (2007-2010), la Cour de justice des Communautés européennes a rendu, le 3 septembre 2009, l’arrêt Parlement européen c. Conseil (affaire C-166/07) dans lequel elle s’est prononcée sur la question de savoir si des actions visant à encourager la paix et la réconciliation entre deux groupes de population divisés dans une région de la Communauté peuvent être considérés comme relevant de la politique de cohésion économique et sociale régie par le titre XVII du traité CE. Dans l’affirmative, le règlement, adopté sur la base de l’article 308 du traité CE, devrait être annulé et un nouveau règlement, arrêté sur la base juridique appropriée, soit l’article 159, troisième alinéa, du traité CE, devra être adopté.
En 1985, pour apaiser « les troubles », les gouvernements d’Irlande et du Royaume-Uni ont conclu un accord pour consolider la paix et la réconciliation entre les unionistes et les nationalistes d’Irlande du Nord, respectivement de confessions protestante et catholique. En vertu de cet accord, les gouvernements irlandais et britannique ont adopté l’accord, du 18 septembre 1986, concernant le Fonds international en faveur de l’Irlande, lequel porte création du Fonds international pour l’Irlande. Le fonds ainsi institué a pour but de « promouvoir le progrès économique et social, ainsi que d’encourager le contact, le dialogue et la réconciliation entre les deux communautés ». Le règlement attaqué par le Parlement établit le cadre juridique pour le versement des contributions financières de la Communauté au fonds pour la période 2007-2010.
Selon le Parlement, la base légale choisie pour arrêter le règlement, à savoir l’article 308, est erronée. Il considère en effet que le règlement aurait dû être adopté sur la base de l’article 159, troisième alinéa, du traité CE. Le Conseil, soutenu par la Commission, l’Irlande et le Royaume-Uni, estime au contraire que l’article spécifique ne saurait constituer la base juridique appropriée puisque la finalité visée par le fonds dépasse la politique de cohésion, plaçant de ce fait le fonds en dehors du cadre communautaire.
La Cour de justice rappelle, conformément à sa jurisprudence constante, que l’article 308 vise à suppléer l’absence de pouvoirs d’action conférés aux institutions communautaires en vertu d’un article particulier, lorsque de tels pouvoirs apparaissent nécessaires pour atteindre l’un des objectifs fixés par le traité. Elle analyse le but et le contenu de l’acte de droit dérivé, afin d’en apprécier la base juridique opportune. La juridiction communautaire constate que la visée principale de l’acte consiste en l’encouragement de la paix et de la réconciliation entre les nationalistes et les unionistes. Cependant, le règlement renvoie à l’accord de 1986, dont l’un des objectifs est de « promouvoir le progrès économique et social ». La Cour de justice en déduit qu’il y a identité entre les objectifs que poursuivent l’acte attaqué et la politique de cohésion économique et sociale. L’article 159, troisième alinéa, constituerait donc une base appropriée.
La juridiction observe néanmoins que l’instrument contesté dispose que les contributions financières sont utilisées conformément à l’accord instituant le fonds, sur lequel la Communauté n’influe aucunement. Le contenu des actions entreprises s’avère donc impossible à prévoir a priori. En conséquence, l’acte de droit dérivé n’est pas de nature à garantir que l’ensemble des interventions du fonds financées par la Communauté réponde aux finalités poursuivies par la politique de cohésion économique et sociale.
La Cour de justice constate que le renforcement de la cohésion économique et sociale constitue, en dehors du titre XVII, un objectif de la Communauté, aux termes des articles 2 et 3, paragraphe 1, sous k), du traité CE. La Cour de justice vérifie également que la finalité de l’instrument attaqué se situe dans le cadre du marché commun, ce qui est le cas en l’espèce puisque le règlement vise à améliorer la situation économique dans des zones défavorisées des deux Etats membres, ce qui tend à améliorer le fonctionnement du marché.
La Cour de justice considère donc que le législateur aurait dû recourir conjointement aux articles 159, troisième alinéa, et 308 du traité CE. Lorsqu’un acte repose sur une double base juridique, les aspects les plus exigeants vis-à-vis de chaque institution doivent être retenus. Il en résulte que le nouveau règlement devra être adopté par le Parlement et le Conseil conformément à la procédure de codécision (article 251 du traité CE) tout en respectant l’exigence d’unanimité au sein du Conseil. Il convient de souligner à cet égard que la juridiction communautaire ne suit pas les conclusions de l’avocat général Bot dans cette affaire, qui prônait l’adoption d’un nouveau règlement, fondé uniquement sur l’article 159, troisième alinéa. Mettons également en exergue que la Cour de justice a décidé de maintenir les effets du règlement attaqué jusqu’à l’entrée en vigueur du nouveau règlement, si toutefois celui-ci est adopté dans un délai raisonnable.
Outre les précisions apportées sur ce qui est susceptible de relever de la politique de cohésion économique et sociale, la philosophie sous-jacente dans cet arrêt est qu’en plus de suppléer l’absence de pouvoirs d’action attribués aux institutions communautaires par des dispositions spécifiques, l’article 308 a aussi vocation à développer l’étendue des pouvoirs d’action conférés à la Communauté par des dispositions spécifiques. La Cour de justice confirme ainsi sa jurisprudence sur la clause de flexibilité.
Reproduction autorisée avec indication : Marc Morel, "L’article 308 et la politique de cohésion économique et sociale", www.ceje.ch, actualité du 14 septembre 2009.