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Violation du droit de l’Union européenne en matière de détachement des travailleurs

Diane Grisel , 8 mars 2010

L’arrêt de la Cour de justice rendu le 21 janvier 2010 dans le cadre d’un recours en manquement contre l’Allemagne (aff. C-546/07) souligne une nouvelle fois les craintes de dumping social que suscite le détachement de travailleurs étrangers sur territoire national et permet d’évoquer différents instruments juridiques mis en œuvre pour se prémunir de ce risque.

Dans les relations entre Etats membres de l’Union européenne, la directive 96/71 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services établit un « noyau dur » de règles protectrices, relatives notamment au taux de salaire minimal et aux périodes de travail maximales, lesquelles doivent être respectées par les entreprises détachant leurs employés sur le territoire d’autres Etats membres. De plus, le risque d’afflux de travailleurs détachés, en particulier après l’élargissement à dix nouveaux Etats en 2004, ont incité certains Etats membres à insérer des clauses dérogatoires à l’article 49 CE garantissant la libre prestation de services (devenu l’article 56 du traité FUE) dans l’acte d’adhésion des nouveaux Etats membres. C’est le cas notamment de l’Allemagne et de l’Autriche, qui ont introduit une dérogation à l’article 49 CE pour « faire face à des perturbations graves ou des menaces de perturbations graves dans certains secteurs sensibles des services de leur marché du travail qui pourraient surgir dans certaines régions à la suite d’une prestation de services transnationale » (JO L 236 du 23.9.2003, p. 33).

L’acte d’adhésion de la Pologne précise que cette dérogation ne doit pas rendre les prestations de services entre l’Allemagne ou l’Autriche et la Pologne plus restrictives que celles existant à la date de la signature du traité d’adhésion (clause de « standstill »). Or l’Allemagne a signé, en 1990, une convention avec la Pologne relative au détachement de travailleurs d’entreprises polonaises qui facilite l’obtention, par les travailleurs polonais, d’un permis de travail en cas de contrats entre un entrepreneur polonais et une « entreprise de l’autre partie ». Une clause de protection du marché interdit toutefois les contrats d’entreprise lorsque le taux de chômage dans la circonscription où le contrat doit être exécuté excède de 30% au moins le taux de chômage moyen en Allemagne.

La Commission a introduit un recours en manquement à l’encontre de l’Allemagne en soulevant deux griefs dont seul le premier a été accueilli par la Cour de justice.

Premièrement, la Commission reproche à l’Allemagne d’avoir interprété l’expression « entreprise de l’autre partie » dans la convention bilatérale comme signifiant « entreprise allemande », avec la conséquence que seules les entreprises ayant leur siège ou un établissement stable en Allemagne peuvent bénéficier du quota de travailleurs polonais garanti au titre de la convention. La Cour de justice considère qu’il s’agit d’une discrimination directe contraire à l’article 49 CE qui ne peut être justifiée que par références aux dérogations expresses mentionnées à l’article 46 CE (motifs d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique ; devenu l’article 52 du traité FUE). Avant de relever que de telles justifications n’ont pas été invoquées par l’Allemagne, qui avance des motifs tenant à l’efficacité des contrôles de la bonne application de la convention bilatérale ainsi qu’aux problèmes liés au recouvrement des créances de sécurité sociale, la Cour de justice se prononce néanmoins sur un autre argument avancé par l’Allemagne. Cette dernière soutient qu’une extension des facilités prévues dans la convention aux entreprises établies dans d’autres Etats membres que l’Allemagne remettrait en cause l’équilibre et la réciprocité de la convention bilatérale. La Cour de justice rejette cette justification en soulignant qu’il s’agit d’une convention conclue entre deux Etats membres dont les dispositions ne peuvent s’appliquer que dans le respect du droit communautaire. La Cour de justice distingue le cas d’espèce d’arrêts invoqués par l’Allemagne relatifs à des conventions bilatérales en matière fiscale et de sécurité sociale dans lesquels elle a refusé d’octroyer à des Etats membres non parties à une convention bilatérale des avantages prévus dans ladite convention (non application du principe de droit international de la « nation la plus favorisée »). Si l’analogie avec ces arrêts nous semble en effet devoir être rejetée, les arguments présentés par la Cour de justice peuvent paraître confus, notamment lorsqu’elle suggère que l’arrêt D, invoqué par l’Allemagne, ne concerne pas deux Etats membres.

Deuxièmement, la Commission considère que la disposition de protection du marché, à laquelle d’autres circonscriptions allemandes ont été soumises après la signature de l’acte d’adhésion, est contraire à la clause de standstill. La Cour de justice rejette ce grief en relevant, d’une part, que l’acte d’adhésion permet expressément à l’Allemagne de déroger, sous certaines conditions, à la libre prestation de services. D’autre part, la clause de standstill ne s’oppose pas au dynamisme de la clause de protection du marché : la mise à jour trimestrielle de la liste des circonscriptions soumises à l’interdiction découlant de la clause de protection du marché du travail revêt un caractère « purement déclaratoire » et ne provoque aucune péjoration de la situation juridique ou modification défavorable de la pratique administrative allemande.

Dans les relations bilatérales entre la Suisse et l’Union européenne, aucune limite quantitative (telle qu’un contingentement) ne peut être opposée aux prestataires de services détachant des travailleurs sur le territoire d’une partie contractante (art. 5, § 4, ALCP). Par contre, d’autres restrictions transitoires (priorité du travailleur indigène et contrôle des conditions de salaire et de travail ; art. 10, § 2a-2b, ALCP) demeurent possibles à l’égard de prestataires établis dans un des huit Etats membres d’Europe de l’Est ayant adhéré à l’Union européenne en 2004 (ces mesures sont opposables jusqu’au 30 avril 2011, art. 10, § 4a, al. 2, ALCP) ainsi qu’en Roumanie ou en Bulgarie (ces mesures peuvent être maintenues jusqu’au 31 mai 2011, art. 10, § 4c, al. 2, ALCP). En plus de ces restrictions transitoires, d’autres mesures visent à assurer une concurrence loyale et à garantir le respect des droits des travailleurs en cas de détachement de travailleurs. La Suisse s’est en particulier engagée dans le cadre de l’accord sur la libre circulation des personnes à reprendre la directive 96/71 (art. 22, § 2, annexe I ALCP en relation avec l’art. 16, § 1, ALCP). Ainsi, comme « mesure d’accompagnement » à l’ALCP, la Suisse a adopté une loi fédérale sur les travailleurs détachés (LDét., RS 823.20). Le catalogue des normes que les employeurs doivent garantir aux travailleurs détachés aux termes de la LDét., telles celles sur la rémunération et le temps de travail, correspond à celui de la directive communautaire. Ces conditions de travail et de salaire qui doivent être assurées aux travailleurs détachés découlent des lois fédérales, ordonnances du Conseil fédéral, conventions collectives de travail déclarées de force obligatoire et contrats-types de travail (art. 2, § 1, LDét.).


Reproduction autorisée avec indication : Diane Grisel, "Violation du droit de l’Union européenne en matière de détachement des travailleurs", www.ceje.ch, actualité du 8 mars 2010.