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Les jeux de hasard et l’application des règles en matière d’établissement

Mateusz Milek , 6 novembre 2025

Dans un arrêt du 16 octobre 2025, affaires jointes C-718/23 à C-721/23 et C-60/24, Asociación de Empresarios de Salones de Juego, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur l’application de la liberté d’établissement garantie à l’article 49 TFUE aux règles nationales en matière de jeux de hasard. L’affaire au principal concernait une législation adoptée par la Communauté valencienne en Espagne qui a soumis les établissements de jeu privés, tels que les casinos, les salles de bingo ou les salles de jeu, à certaines obligations destinées à prévenir le jeu compulsif. En particulier, cette réglementation a instauré des restrictions d’implantation en termes de distance minimale à respecter entre, d’un côté, les salles de jeu et les établissements spécifiquement destinés aux paris, et, de l’autre, certains établissements d’enseignement, ainsi qu’entre certains établissements de jeu eux-mêmes. Considérant que cette nouvelle législation était contraire à la liberté d’établissement prévue à l’article 49 TFUE, certaines entreprises actives dans le domaine des jeux de hasard ont introduit un recours devant la Cour supérieure de justice de la Communauté valencienne pour faire valoir leurs arguments. Dans ce contexte, cette juridiction a décidé de suspendre à statuer et de saisir la Cour de justice d’un renvoi préjudiciel sur le fondement de l’article 267 TFUE. 

Dans son jugement, la Cour de justice a dû tout d’abord s’assurer de la recevabilité de la demande de décision préjudicielle. En effet, il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que les dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement ne trouvent pas à s’appliquer à une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre. Or, la Cour a observé que lorsque, comme en l’espèce, une juridiction de renvoi la saisit dans le cadre d’une procédure en annulation de dispositions applicables non seulement aux ressortissants nationaux, mais également aux ressortissants d’autres États membres, la décision que cette juridiction adoptera à la suite de l’arrêt de la Cour rendu à titre préjudiciel produira des effets également à l’égard de ces derniers ressortissants. Pour la Cour, cette situation particulière justifie donc la recevabilité de la demande de décision préjudicielle. 

Sur le fond, la Cour de justice s’est appuyée sur sa jurisprudence constante selon laquelle doivent être considérées comme des restrictions à la liberté d’établissement, au sens de l’article 49 TFUE, toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté. Tel était le cas pour les mesures en cause puisqu’elles limitent la capacité des entreprises à fournir certains services de jeux en tant qu’activité économique dans la région concernée ou empêchaient les opérateurs fournissant déjà de tels services de rentabiliser leurs investissements. 

Il découle toutefois également de la jurisprudence de la Cour que les restrictions à la liberté d’établissement peuvent être admises au titre de la protection de l’ordre public, de la sécurité publique et de la santé publique, comme expressément prévu à l’article 52, paragraphe 1, TFUE, ou justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général reconnues par la Cour. À cet égard, le gouvernement de la Communauté valencienne et le gouvernement espagnol ont fait valoir que les mesures en cause avaient pour objet la protection de la santé publique et de la sécurité publique, plus particulièrement la prévention des comportements addictifs liés au jeu, la protection des groupes de personnes vulnérables et l’atténuation de l’impact social des jeux de hasard et des paris. En réponse à cet argument, la Cour de justice a accepté que les restrictions en cause apparaissent justifiées au regard des objectifs poursuivis. Il appartiendra toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier si ces mesures sont proportionnées, en ce qu’elles sont propres à garantir la réalisation des objectifs poursuivis et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre. 

L’arrêt Asociación de Empresarios de Salones de Juego s’inscrit dans une ligne de jurisprudence bien établie selon laquelle la réglementation nationale des jeux de hasard ne saurait être soustraite au respect des libertés fondamentales du marché intérieur de l’Union. Toutefois, étant donné que la réglementation des jeux de hasard fait partie des domaines dans lesquels existent des divergences considérables d’ordre moral et culturel entre les États membres, ces derniers jouissent d’une large marge de manœuvre pour fixer les objectifs de leur politique en matière de jeux de hasard et définir le niveau de protection recherché, pour autant que les restrictions qu’ils imposent satisfassent au principe de proportionnalité. 

 

Reproduction autorisée avec la référence suivante : Mateusz Miłek, Les jeux de hasard et l’application des règles en matière d’établissement, actualité n° 34/2025, publiée le 6 novembre 2025, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch