Avec l’arrêt de grande chambre Cali Apartments (aff. jtes C‑724/18 et C‑727/18), la Cour de justice de l’Union européenne a été appelée à interpréter les articles 1er, 2, ainsi que 9 à 15 de la directive 2006/123du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur.
Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant des particuliers au Procureur général près la Cour d’appel de Paris et à la ville de Paris au sujet de la violation par ces personnes d’une réglementation nationale imposant une autorisation préalable pour l’exercice d’activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l’habitation à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile, effectuées de manière répétée et pour de courtes durées.
La Cour de justice a jugé, en premier lieu, que la directive 2006/123 s’applique à une réglementation d’un État membre telle que celle en cause, dont les activités relèvent de la notion de « service », au sens de l’article 4, point 1, de la directive 2006/123. En deuxième lieu, la Cour a dit pour droit qu’une réglementation nationale qui soumet à autorisation préalable l’exercice de certaines activités de location de locaux destinés à l’habitation relève de la notion de « régime d’autorisation », au sens de l’article 4, point 6, de la directive 2006/123, et non de celle d’« exigence », au sens du point 7 de cet article. En effet, un « régime d’autorisation » se distingue d’une « exigence » en ce qu’il implique une démarche de la part du prestataire de service ainsi qu’un acte formel par lequel les autorités compétentes autorisent l’activité de ce prestataire, ce qui est le cas de la réglementation en cause.
La réglementation française prévoit que l’autorisation pour l’exercice d’activités telles que celles en cause peut être subordonnée à une compensation sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage. En outre, une délibération du conseil municipal fixe les conditions dans lesquelles les autorisations sont délivrées et détermine les montants des compensations par quartier, au regard des objectifs de mixité sociale, en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements. Ce « régime d’autorisation » doit être conforme aux exigences prévues par la directive 2006/123. Cela suppose d’apprécier, d’abord, le caractère justifié du principe même de l’établissement d’un tel régime, au regard de l’article 9, paragraphe 1, puis les critères d’octroi des autorisations prévues par le régime, à la lumière de l’article 10, paragraphe 2, de la directive.
S’agissant, premièrement, des conditions prévues par l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/123, le « régime d’autorisation » doit être justifié par une raison impérieuse d’intérêt général et la mesure adoptée doit respecter le principe de proportionnalité. La Cour de justice a relevé, d’une part, que la réglementation en cause vise à établir un dispositif de lutte contre la pénurie de logements destinés à la location de longue durée, avec pour objectif de répondre à la dégradation des conditions d’accès au logement et à l’exacerbation des tensions sur les marchés immobiliers, ce qui constitue une raison impérieuse d’intérêt général. D’autre part, la Cour a constaté que la réglementation nationale en cause est proportionnée dans la mesure où elle a été retenue comme n’allant pas au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour attendre à l’objectif poursuivi. En effet, elle est matériellement circonscrite à une activité spécifique de location, elle exclut de son champ d’application les logements qui constituent la résidence principale du loueur et le régime d’autorisation qu’elle établit est de portée géographique restreinte.
S’agissant, deuxièmement, des critères d’octroi des autorisations prévues par le régime, lus à la lumière de l’article 10, paragraphe 2, de la directive, ils doivent être également retenus justifiés par une raison impérieuse d’intérêt général. Concernant, en outre, l’exigence de proportionnalité desdits critères, il appartient à la juridiction nationale de vérifier, tout d’abord, si le « régime d’autorisation » répond effectivement à une pénurie de logements destinés à la location de longue durée, constatée sur le territoire de ces communes. Ensuite, la juridiction nationale doit s’assurer que le régime d’autorisation s’avère adaptée à la situation du marché locatif local et qu’il soit compatible avec l’exercice de l’activité de location en cause. À cette dernière fin, elle doit prendre en considération la sur-rentabilité généralement constatée de cette activité par rapport à la location de locaux destinés à l’habitation résidentielle ainsi que les modalités pratiques permettant de satisfaire à l’obligation de compensation dans la localité concernée, en s’assurant que cette obligation est susceptible d’être satisfaite par une pluralité de mécanismes de compensation qui répondent à des conditions de marché raisonnables, transparentes et accessibles.
En guise de conclusion, la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location de longue durée constitue une raison impérieuse d’intérêt général. Par conséquent, une réglementation nationale qui pour une telle raison soumet à autorisation la location, de manière répétée, d’un local destiné à l’habitation pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile est proportionnée à l’objectif recherché et donc conforme au droit de l’Union européenne.
Vincenzo ELIA, Lutte contre la pénurie de logements destinés à la location de longue durée, actualité du CEJE n° 36/2020, disponible sur www.ceje.ch