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Irrecevabilité du recours contre le paquet climat de 2018

Vincenzo Elia , 8 avril 2021

L’affaire Armando Carvalho c. Parlement et Conseil, a été formé en 2018 par 36 requérants originaires de divers États membres de l’Union européenne (Allemagne, France, Italie, Portugal et Roumanie) et du reste du monde (Kenya et îles Fidji), ainsi qu’une association suédoise représentant les jeunes autochtones Samis. 

Touchés par la hausse du niveau des mers, les inondations ou la sécheresse – conséquences du changement climatique – les requérants ont contesté les mesures du cadre pour le climat et l’énergie de 2018 réglementant les émissions de gaz à effet de serre pour les années 2021 à 2030 : la directive sur le système d'échange de quotas d'émission, le règlement sur la répartition de l'effort et le règlement sur l'UTCAFT. Ces instruments européens fixent un objectif global de réduction des émissions annuelles de GES de 40 % par rapport aux niveaux d'émission de 1990. Alléguant une violation de leurs droits fondamentaux et invoquant l'Accord de Paris, les requérants ont combiné deux demandes : l’annulation du paquet législatif de l’Union en ce qu’il fixe un objectif de 40 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 par rapport au niveau de l’année 1990, et d’ordonner au Conseil et au Parlement européen d’adopter des mesures imposant une réduction comprise, à tout le moins, entre 50 et 60 %, au lieu d’une indemnité pécuniaire pour leurs prétendues pertes individuelles au titre de l’article 240, paragraphe 2, TFUE.

Par ordonnance du 8 mai 2019 le Tribunal a jugé ce recours irrecevable. Se fondant sur une application stricte de l’arrêt Plaumann, le Tribunal a décidé que les requérants n’étaient pas individuellement concernés par la législation européenne en cause. Le fait que les effets du changement climatique puissent, à l’égard d’une personne, être différents de ce qu’ils sont à l’égard d’une autre n’implique pas que, pour cette raison, il existe une qualité à agir contre une mesure d’application générale. Une approche différente aurait pour conséquence de vider de leur substance les exigences posées par le TFUE et de créer un droit à agir pour tous. En ce qui concerne la demande d’ordonner au Conseil et au Parlement d’adopter des mesures plus sévères, qui a été faite sous forme de demande indemnitaire, le Tribunal a considéré qu’elle tendait, en réalité, à obtenir un résultat semblable à celui d’une annulation des actes litigieux et que, par conséquent, elle devait être également déclarée irrecevable.

Les requérants ont alors formé un pourvoi contre l’ordonnance du Tribunal, visant à conduire la Cour de justice de l’Union européenne à répondre par la positive à la possibilité de se baser sur une éventuelle violation des droits fondamentaux pour satisfaire les conditions de l’arrêt Plaumann. Néanmoins, la Cour a réitéré ce qu’elle a jugé dans l’arrêt Sabo, une autre affaire d'action climatique. L’allégation selon laquelle un acte de l’Union viole les droits fondamentaux ne suffit pas, à elle seule, à rendre recevable le recours d’un particulier, sous peine de vider de leur substance les conditions de recevabilité posées par l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Elle a rappelé, par ailleurs, que le juge de l’Union ne peut pas, sans excéder ses compétences, interpréter ces conditions d’une manière à s’écarter de ce qui est expressément prévu par le TFUE, et ce même à la lumière du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective consacré par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. 

S’agissant des actions climatiques, l’arrêt Plaumann est trop restrictif et ne permet pas un accès adéquat à la justice. En effet, le changement climatique, de par sa nature même, touche tout le monde, les générations actuelles et futures. Le simple fait que les effets du changement climatique soient généraux – mais cela signifie que les préjudices qui en découlent sont plus graves du moment qu’ils touchent un plus grand nombre de personnes – rend les actes juridiques correspondants impropres à un contrôle juridictionnel au titre de l’arrêt Plaumann. Logique veut qu’en matière de changement climatique un dommage plus grand et grave est susceptible d’affecter un nombre de personnes de plus en plus élevé. Cela signifie que la règle de l’intérêt individuel est de moins en moins possible dans les actions climatiques.  

Il vaut la peine en outre de rappeler que l’Union européenne est liée à la Convention d’Aarhus. Cette dernière, à son article 9, paragraphe 3, prévoit qu’il faut veiller à que « les membres du public […] puissent engager des procédures administratives ou judiciaires pour contester les actes et omissions de particuliers ou d'autorités publiques allant à l’encontre des dispositions du droit national de l’environnement ». Le Comité de conformité de la Convention d'Aarhus a déjà déclaré, par le biais de deux rapports publiés en 2011 et en 2017, que les critères établis par l’arrêt Plaumann étaient « trop stricts pour répondre aux critères de la Convention » car « les personnes ne peuvent être affectées individuellement si la décision ou le règlement prend effet en vertu d’une situation juridique ou factuelle objective ». 

Si d’un côté il est possible d'affirmer que l'Union européenne est l’acteur global de référence pour l’adoption de politiques climatiques ambitieuses, de l’autre côté il reste encore beaucoup à faire s’agissant de la protection juridique individuelle dans les actions climatiques. 

Vincenzo Elia, Irrecevabilité du recours contre le paquet climat de 2018, actualité du CEJE n° 12/2021, disponible sur www.ceje.ch