Dans un arrêt de grande chambre rendu le 24 octobre 2018 en matière de fiscalité, la Cour de justice de l’Union européenne a rappelé les grands principes qui gouvernent le système juridictionnel de l’Union européenne.
L’affaire concerne trois citoyens autrichiens soupçonnés d’avoir obtenu des remboursements de TVA par le biais de déclarations erronées à l’administration fiscale suisse. Des demandes d’entraide judiciaire sont introduites par les autorités autrichiennes visant à auditionner les intéressés. Une juridiction autrichienne rejette les recours introduits contre de telles demandes en adoptant une ordonnance à caractère définitif. Les demandeurs dans l’affaire au principal estiment que cette ordonnance a pour effet de méconnaître des droits consacrés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et exigent une répétition de la procédure.
L’article 363a du code de procédure pénale autrichien établit en effet une répétition de procédure pénale d’une décision ayant force de chose jugée, mais uniquement en cas de violation de droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour est ici amenée à déterminer si cette répétition de procédure devrait être étendue aux cas de violation de droits garantis par la Charte. La Cour analyse la question à la lumière des principes d’équivalence et d’effectivité.
La Cour rappelle que les voies de recours destinées à sauvegarder les droits que les justiciables tirent du droit de l’Union ne doivent pas être moins favorables que les voies de recours de nature interne (principe d’équivalence) et ne doivent pas rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (point 22).
Concernant le principe d’équivalence, la Cour compare les voies de recours permettant de contester la violation d’un droit contenu dans la Charte des droits fondamentaux et la voie de recours prévue à l’article 363a du code de procédure pénale autrichien. Le droit de l’Union européenne se caractérise par sa primauté par rapport au droit des États membres et par l’effet direct de certaines dispositions (point 36). Pour garantir ces principes ainsi que les droits qui en découlent, les traités mettent un place un système juridictionnel visant à assurer la cohérence et l’interprétation du droit de l’Union (point 39). La Cour précise que « la clef de voute » de ce système juridictionnel est la procédure du renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE (point 41). Après avoir rappelé les principales caractéristiques du renvoi préjudiciel, la Cour conclut que « ledit cadre constitutionnel garantit à toute personne la possibilité d’obtenir la sauvegarde effective des droits qui lui sont conférés par l’ordre juridique de l’Union avant même qu’intervienne une décision nationale revêtue de l’autorité de la chose jugée » (point 46). La Cour affirme donc que le principe d’équivalence n’impose pas d’étendre une voie de recours telle que celle prévue à l’article 363a du code de procédure autrichien permettant la répétition de procédure pénale en cas de violation de droits fondamentaux prévus dans la Charte (point 48).
Concernant le principe d’effectivité, la Cour rappelle l’importance que revêt le principe de l’autorité de la chose jugée dans l’ordre juridique de l’Union, lequel garantit la stabilité du droit et des relations juridiques de l’administration de justice (point 52). L’ordre juridique autrichien garantit l’effectivité du droit de l’Union sans qu’il soit nécessaire d’étendre la procédure de l’article 363a puisqu’il existe de nombreuses voies de recours assurant de manière effective les droits dérivant de la Charte des droits fondamentaux (points 55-57). Par ailleurs, la Cour souligne que « le principe de l’autorité de la chose jugée ne s’oppose pas à la reconnaissance du principe de la responsabilité de l’État du fait de la décision d’une juridiction statuant en dernier ressort » (point 58). La Cour fait bien évidemment référence à l’arrêt Köbler qui autoriserait les particuliers à engager la responsabilité de l’État si des droits découlant de la Charte avaient été violés dans une décision juridictionnelle.
La Cour conclut que les principes d’équivalence et d’effectivité n’imposent pas que la procédure de l’article 363a du code de procédure pénale autrichien, qui prévoit la répétition d’une procédure pénale clôturée par une décision ayant force de chose jugée en cas de violation de droits contenus dans la CEDH, soit étendue aux cas de violation de droits contenus dans la Charte des droits fondamentaux. Cet arrêt permet donc de préciser la portée des grands principes de l’ordre juridique de l’Union européenne. La Cour y souligne, par ailleurs, l’importance de la procédure de renvoi préjudiciel, un aspect qui semble reprendre de l’ampleur dans la jurisprudence récente (voir, dans ce sens, l’arrêt Commission c. France du 4 octobre et notre commentaire).
Elisabet Ruiz Cairó, « Arrêt XC : la Cour de justice précise la portée des principes d’équivalence et d’effectivité », actualité du 31 octobre 2018, www.ceje.ch