Dans l’arrêt Jones Day (aff. C‑807/23), la Cour de justice a apporté des clarifications sur l’application du principe de la libre circulation des travailleurs dans le contexte du stage exigé pour exercer la profession d’avocat.
Mme Plavec a été employée à partir de janvier 2022 en tant que salariée au sein du cabinet d’avocats Jones Day, à Francfort-sur-le-Main en Allemagne. Dans le cadre de son emploi, elle effectuait un stage auprès de KI, avocat autrichien ayant le statut d’associé au sein du cabinet Jones Day. L’activité de Mme Plavec portait uniquement sur le droit autrichien. KI, son maître de stage était responsable pour conseiller des clients autrichiens et les représenter devant les juridictions autrichiennes. Le 14 janvier 2022, Mme Plavec a sollicité de l’ordre des avocats du barreau de Vienne son inscription au tableau des avocats stagiaires ainsi que la délivrance d’un document de légitimation faisant apparaître son pouvoir limité de représentation en justice. Sa demande a été rejetée au motif que son stage n’était pas effectué auprès d’un avocat établi en Autriche. En effet, en vertu de la réglementation autrichienne relative à la profession d’avocat, l’accès à cette profession est conditionné par la réalisation d’un stage pratique d’une durée de cinq ans dont au moins trois ans chez un avocat établi en Autriche.
Mme Plavec a attaqué en justice la décision rejetant sa demande d’être inscrite au tableau des avocats stagiaires. Statuant en appel dans son affaire, la Cour suprême autrichienne a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice une question préjudicielle sur l’interprétation du principe de la libre circulation des travailleurs garanti par l’article 45 TFUE. La juridiction souhaitait savoir si ladite disposition fait obstacle à une réglementation autrichienne qui exige qu’une partie d’un stage pratique soit effectuée auprès d’un avocat établi en Autriche en excluant qu’elle puisse être réalisée auprès d’un avocat établi dans un autre État membre, même dans la situation où ce dernier avocat est inscrit au barreau autrichien et les activités réalisées dans le cadre du stage portent sur le droit autrichien.
La Cour de justice a d’abord observé qu’en l’absence d’harmonisation des conditions d’accès à la profession d’avocat, les États membres peuvent définir les connaissances et les qualifications nécessaires à l’exercice de cette profession. Néanmoins, les dispositions nationales adoptées à cet égard ne peuvent pas porter atteinte à la liberté fondamentale de libre circulation de travailleurs garantie par l’article 45 TFUE. La Cour a encore relevé que la réglementation autrichienne en cause entre dans le champ d’application de l’article 45 TFUE puisqu’elle prévoit que les juristes exerçant leur activité de stagiaire perçoivent une rémunération au cours de leur stage. Cette réglementation constitue une restriction à la liberté de circulation garantie à l’article 45 TFUE, dès lors qu’elle est susceptible de « gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice de cette liberté ».
En examinant la possible justification de la réglementation autrichienne, la Cour a admis que les objectifs poursuivis par celle-ci (à savoir la protection des destinataires des services juridiques et la bonne administration de la justice) constituent des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier les restrictions à la libre circulation des travailleurs. La réglementation en cause est apte à réaliser lesdits objectifs. En effet, l’obligation d’effectuer un stage auprès d’un avocat établi dans l’État membre permet au juriste concerné d’acquérir une réelle expérience de la pratique du droit dans cet État membre ainsi que des règles qui s’imposent aux avocats et des usages qui gouvernent leurs relations avec les juridictions et les autorités dudit État membre. En outre, la réglementation autrichienne est de nature à permettre à l’ordre des avocats compétent, de contrôler le déroulement du stage pratique en accédant, le cas échéant au cabinet du maître de stage. Toutefois, pour la Cour de justice, cette réglementation va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs visés. En effet, les objectifs visés peuvent être atteints par des mesures moins contraignantes telles que la réalisation d’un stage auprès d’un avocat inscrit à un barreau autrichien, mais établi dans un autre État membre, assorti de l’exigence de prouver auprès des autorités nationales compétentes que ce stage est de nature à procurer l’accès à une expérience équivalente à celle que procure un stage pratique auprès d’un avocat établi en Autriche. Dans le cadre d’un stage effectué à l’étranger, les autorités compétentes sont en mesure d’opérer des contrôles effectifs quant aux conditions de déroulement du stage : par exemple, ces autorités peuvent convoquer l’avocat stagiaire et son maître de stage en vue d’obtenir des explications sur le déroulement du stage pratique.
En conclusion, une réglementation d’un État membre qui impose la réalisation d’une partie déterminée d’un stage pratique auprès d’un avocat établi dans cet État membre, en excluant qu’elle puisse être effectuée auprès d’un avocat établi dans un autre État membre, est contraire à l’article 45 TFUE. Cependant, il est loisible à l’État membre d’exiger que les juristes concernés prouvent aux autorités compétentes que le stage effectué à l’étranger est de nature à leur procurer une formation et une expérience équivalentes à celles que garantit un stage auprès d’un avocat établi sur le territoire national.
L’arrêt Jones Day rappelle que, même en l’absence d’harmonisation au niveau de l’Union européenne, les règles nationales relatives aux conditions d’accès à une profession doivent respecter les libertés fondamentales garanties par les traités. A l’ère du développement continu des moyens de communication modernes et de la croissance de la mobilité professionnelle, les clarifications sur les conditions de reconnaissance de l’expérience acquise lors du stage effectué dans un autre État membre sont particulièrement importantes.
Reproduction autorisée avec la référence suivante : Alicja Słowik, Le stage d’avocat réalisé dans un autre État membre de l’UE, actualité n° 11/2025, publiée le 4 avril 2025, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch