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Le principe d’autonomie procédurale et la protection effective des droits des consommateurs

Alicja Slowik , 15 avril 2024

Les tensions entre l’objectif d’assurer l’application effective du droit de l’Union européenne, d’une part, et le respect du principe d’autonomie procédurale des Etats membres, de l’autre, ne cessent de nourrir le contentieux devant la Cour de justice de l’Union européenne. L’affaire récente FY c./ Profi Credit Polska S.A. w Bielsku Białej (C‑582/21) a donné une nouvelle occasion à la Cour de justice de rappeler la portée de plusieurs principes régissant les interactions entre le droit national et le droit de l’Union, tels que le principe d’effectivité, le principe d’équivalence ou le principe d’interprétation conforme, dans le contexte de l’application de la directive 93/13 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.

En l’espèce, FY a conclu avec l’entreprise de crédit Profi Credit Polska un contrat de crédit à consommation. A la conclusion de ce contrat, FY a émis un billet à ordre blanc, qui a été ensuite complété par Profit Credit Polska. Par la suite, l’entreprise a introduit, auprès de Sąd Rejonowy de Varsovie (tribunal d’arrondissement), un recours visant à obtenir le paiement de la somme figurant sur le billet à ordre blanc majorée des intérêts contractuels. Le tribunal d’arrondissement a rendu un jugement par défaut condamnant FY à payer à Profi Credit Polska la somme figurant sur le billet à ordre. Lors de la procédure, Profi Credit Polska n’a pas présenté le contrat de crédit en cause et la juridiction ne l’a pas invité à le faire. Le caractère éventuellement abusif des clauses du contrat n’a donc pas été examiné par le juge.

Un peu plus d'un an plus tard, FY a introduit une demande de réouverture de la procédure clôturée par le tribunal, en faisant valoir que ce dernier aurait dû examiner d’office le caractère éventuellement abusif des clauses du contrat de crédit, conformément aux dispositions de la directive 93/13 telles qu’interprétées par la Cour de justice (v. notamment l’arrêt Profi Credit Polska, C-176/17). Selon les règles de procédure polonaises, la demande de réouverture d’une procédure peut être accueillie notamment lorsque la disposition nationale sur laquelle le jugement en cause est fondé a ultérieurement été déclarée incompatible avec la Constitution nationale ou une autre norme de rang supérieur par le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), ou lorsque la partie concernée a été « illégalement privée de la possibilité d’agir » en raison d’une violation du droit. La demande de réouverture ayant été rejetée par le tribunal d’arrondissement, FY a décidé d’interjeter appel devant le Sąd Okręgowy de Varsovie (tribunal régional).

Dans ces circonstances, le tribunal régional a décidé d’adresser à la Cour de justice deux questions préjudicielles portant essentiellement sur la portée du principe de coopération loyale (Article 4(3) TUE), principe de protection juridictionnelle effective (Article 19(1) TUE), ainsi que le principe d‘interprétation conforme. Premièrement, le tribunal voulait savoir si la disposition du droit national relative à la possibilité de réouverture d’une procédure sur la base d’une décision de la Cour constitutionnelle devrait être appliquée « par analogie » à l’égard d’un arrêt préjudiciel en interprétation de la Cour de justice. Deuxièmement, la juridiction de renvoi se demandait si le droit de l’Union exige que la disposition du droit national prévoyant la possibilité de réouverture d’une procédure dans la situation où la partie concernée a été « illégalement privée de la possibilité d’agir » soit interprétée comme permettant de réouvrir la procédure lorsque le juge a omis d’examiner la présence éventuelle des clauses abusives dans le contrat conclu avec le consommateur.

S’agissant de la première question, la Cour de justice a jugé qu’en vertu du principe de l’autonomie procédurale, il appartient aux Etats membres de déterminer les modalités de mise en œuvre du principe de l’autorité de la chose jugée dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité. La question de savoir si la disposition du droit national prévoyant la possibilité de réouverture d’une procédure sur la base d’une décision de la Cour constitutionnelle puisse être appliquée « par analogie » à l’égard d’un arrêt préjudiciel en interprétation de la Cour de justice doit être tranchée par la juridiction de renvoi. La Grande chambre a pourtant indiqué qu’il existe des différences considérables entre les décisions de la Cour constitutionnelle et les jugements de la Cour de justice rendus dans le cadre du renvoi préjudiciel en interprétation. Les décisions de la Cour constitutionnelle comportent un constat d’incompatibilité de la disposition de droit national avec la Constitution, ce qui a pour effet de priver ladite disposition de sa force contraignante. En revanche, dans le cadre de la procédure préjudicielle, la Cour de justice ne se prononce pas sur une éventuelle incompatibilité d’une disposition de droit national avec le droit de l’Union. Par conséquent, le principe d’équivalence n’exige pas que les arrêts de la Cour de justice puissent, de la même manière que les décisions de la Cour constitutionnelle, donner lieu à la réouverture d’une procédure ayant abouti à un jugement définitif. 

En examinant la seconde question préjudicielle, la Cour de justice a observé que l’obligation d’interprétation conforme du droit national est limitée par les principes généraux et ne devrait pas aboutir à une interprétation contra legem du droit national. Il appartient aux juridictions nationales de vérifier si l’absence de l’examen du caractère éventuellement abusif des clauses du contrat de crédit donne lieu à une situation où la partie concernée est « illégalement privée de la possibilité d’agir ». La Cour a encore observé que dans la mesure où le droit de l’Union n’harmonise pas les procédures relatives à l’examen du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles, ces procédures sont déterminées par le droit national qui doit pour autant satisfaire les conditions d’équivalence et d’effectivité. Dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi considère qu’il n’est pas possible en l’espèce de réouvrir la procédure au motif que le consommateur a été « illégalement privé de la possibilité d’agir », le principe d’effectivité exige que le consommateur dispose d’une autre voie de droit pour que la protection prévue par la directive 93/13 soit pleinement assurée. La Cour de justice a précisé que, le cas échéant, le respect des droits garantis par la directive 93/13 doit pouvoir être assuré dans le cadre d’une procédure d’exécution du jugement ou dans le cadre d’une procédure subséquente.

L’arrêt FY c./ Profi Credit Polska apporte des clarifications importantes sur les limites de l’autonomie procédurale dont jouissent les autorités nationales lors de la mise en œuvre du droit de l’Union. La Cour de justice laisse une marge d’appréciation importante aux juridictions nationales en rappelant à plusieurs reprises que celles-ci sont les seules compétentes pour interpréter les dispositions de droit national. Il n’en reste pas moins qu’indépendamment de la possibilité d’interpréter des règles procédurales de manière conforme au droit de l’Union, dans le cadre du contentieux en matière de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, l’individu lésé doit avoir accès à une voie de droit afin que la protection voulue par la directive 93/13 soit pleinement garantie.

 

Reproduction autorisée avec la référence suivante : Alicja Słowik, Le principe d’autonomie procédurale et la protection effective des droits des consommateurs, actualité n° 13/2024, publiée le 15 avril 2024, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch