Dans un arrêt du 7 juin 2006 (affaires jointes T-213/01 et T-214/01), le Tribunal de premier instance a confirmé la décision de la Commission et du conseiller-auditeur visant à permettre à un client d’une banque de participer à une enquête ouverte contre différentes banques autrichiennes. Au cœur de cette affaire se trouve la demande des banques autrichiennes de ne pas transmettre des documents relatifs à cette procédure au Freiheitliche Partei Österreichs (FPÖ), un parti politique autrichien à tendance populiste. Ce dernier avait sollicité l’ouverture d’une enquête à l’encontre de huit banques autrichiennes environ sept semaines après que la Commission ait engagé une procédure d’infraction à l’art. 81 CE contre six de ces banques. La Commission a admis l’intérêt légitime du FPÖ de présenter une demande d’ouverture d’enquête et de participer en conséquence à la procédure. En outre, le conseiller-auditeur a rejeté la demande des banques visant à ce que la communication des griefs ne soit pas transmis à FPÖ.
Les banques craignaient l’utilisation des informations afférentes à cette affaire à des fins politiques. Quant au fond, elles ont soutenu que le fait d’être client d’une banque ne permet pas de reconnaître au FPÖ un intérêt légitime au sens de l’art. 3 al. 2 du Règlement 17/62. D’ailleurs, la Commission admet que FPÖ est le premier client final auquel elle a reconnu un intérêt légitime au sens de l’art. 3 al. 2 du Règlement 17/62.
En rejetant le recours des banques autrichiennes, le Tribunal prend soin d’abord de rappeler que tout demandeur ou plaignant ayant fait valoir un intérêt légitime a droit à recevoir une version non confidentielle de la communication des griefs. Le Tribunal souligne ensuite que rien ne s’oppose à ce qu’un client final acheteur de biens ou de services puisse satisfaire la notion d’intérêt légitime. Il précise qu’un client final lésé ou susceptible d’être lésé dans ses intérêts économiques du fait de la restriction de la concurrence a un intérêt légitime à déposer une plainte afin de faire constater une infraction aux art. 81 et 82 CE.
Le Tribunal estime à cet égard que « les règles qui visent à assurer que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur ont pour finalité ultime d’accroître le bien-être du consommateur. [...] Le droit et la politique de la concurrence ont ainsi un impact indéniable sur des intérêts économiques concrets de clients finaux acheteurs de biens ou de services. Or, la reconnaissance à de tels clients - qui font valoir qu’ils ont subi un préjudice économique du fait d’un contrat ou d’un comportement susceptible de restreindre ou de fausser la concurrence - d’un intérêt légitime à faire constater par la Commission une infraction aux articles 81 et 82 CE contribue à la réalisation des objectifs du droit de la concurrence. » (§ 115 de l’arrêt) Ce passage témoigne une fois de plus de l’importance que prennent les intérêts des consommateurs dans l’application du droit de la concurrence. Deux enseignements peuvent être tirés de cet arrêt. Premièrement, la juridiction communautaire suit la Commission dans la définition des objectifs du droit de la concurrence, qui vise à accroître le bien être des consommateurs. Deuxièmement, le Tribunal exprime la volonté d’associer les consommateurs à la réalisation des objectifs du droit de la concurrence, notamment en leur reconnaissant le droit de participer à la procédure et d’obtenir ainsi des informations précieuses qui ne peuvent pas être obtenues autrement.
Les conséquences pratiques de cet arrêt peuvent être importantes. Comme le montre cette affaire, le client final a le droit d’obtenir la communication des griefs, un document qui présente les principaux faits et comportements reprochés aux entreprises, ainsi que d’autres documents relatifs à la procédure. Le client final, autrement dit le consommateur et en application de la jurisprudence BEMIM (T-114/92) les associations de consommateurs, peuvent transmettre ces documents aux autorités nationales de concurrence ou aux tribunaux civils, assistant ainsi ces autorités dans l’application du droit national (ou communautaire) de la concurrence. Il n’est pas sans intérêt de rappeler enfin que les personnes ayant un intérêt légitime au sens de l’art. 3 al. 2 du Règlement 17/62 ont qualité pour intenter une action en annulation des décisions de la Commission (affaire Metro, 26/76). En cela, cet arrêt renforce le rôle des consommateurs dans toutes les phases de la procédure non contentieuse et contentieuse.
Reproduction autorisée avec indication : Pranvera Këllezi, "Un client final d’une banque a un intérêt légitime de participer à une enquête visant à faire constater une violation des règles communautaires de la concurrence", www.ceje.ch, actualité du 27 juin 2006.