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Précision des conditions d’inscriptions au barreau de l’État membre d’accueil

Vincenzo Elia , 20 mai 2019

Dans l’arrêt de grande chambre Monachos Eirinaios, du 7 mai 2019, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « la Cour »), a été appelée à se prononcer, au titre de l’article 267 TFUE, sur l’interprétation de l’article 3 § 2 de la directive 98/5 (ci-après « la directive ») du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise.

Le litige au principal opposait le Monachos Eirinaios, au Dikigorikos Syllogos Athinon (association du barreau d’Athènes, ci-après le « DSA »), au sujet du refus de cette autorité de faire droit à sa demande d’inscription au registre spécial du barreau d’Athènes en tant qu’avocat exerçant sous son titre professionnel d’origine.

En effet, le moine Irénée a sollicité auprès du DSA son inscription au registre spécial du barreau d’Athènes (Grèce) en tant qu’avocat ayant acquis cette qualité professionnelle dans un autre État membre, Chypre.

Le refus du DSA a été justifié sur la base des dispositions nationales relatives à l’incompatibilité entre l’exercice de la profession d’avocat et la qualité de moine, en estimant que ces dispositions s’appliquent également aux avocats souhaitant exercer en Grèce sous leur titre professionnel d’origine. Le DSA a soutenu que la législation nationale, selon laquelle les moines ne peuvent pas être avocats, est justifiée par des règles et des principes fondamentaux régissant l’exercice de la profession d’avocat dans l’État membre d’accueil. La qualité de moine ne permet pas à celui-ci de présenter, conformément à ces règles et à ces principes, des garanties telles que, notamment, l’indépendance par rapport aux autorités ecclésiastiques dont il relève, la possibilité de se consacrer entièrement à l’exercice de la profession d’avocat et l’aptitude à gérer des affaires dans un contexte conflictuel.

Le moine Irénée a contesté la conformité de la législation nationale aux dispositions de la directive 98/5, qui opèrerait une harmonisation complète des règles relatives aux conditions d’inscription auprès de l’autorité compétente de l’État membre d’accueil des avocats ayant acquis leur qualification professionnelle dans un autre État membre.

Dans un arrêt Torresi du 17 juillet 2014, la Cour de justice avait considéré que la directive 98/5 institue un mécanisme de reconnaissance mutuelle des titres professionnels des avocats migrants souhaitant exercer sous le titre obtenu dans l’État membre d’origine. Le législateur de l’Union européenne a entendu mettre fin à la disparité des règles nationales concernant les conditions d’inscription auprès des autorités compétentes, qui étaient à l’origine d’inégalités et d’obstacles à la libre circulation. L’article 3 de la directive 98/5 procède à une harmonisation complète des conditions préalables requises pour l’usage du droit d’établissement, en prévoyant que l’avocat désireux d’exercer dans un État membre autre que celui où il a acquis sa qualification professionnelle, est tenu de s’inscrire auprès de l’autorité compétente de cet État membre, laquelle doit procéder à cette inscription « au vu de l’attestation de son inscription auprès de l’autorité compétente de l’État membre d’origine ». (§§ 26 à 29 de l’arrêt Torresi).

Toutefois, l’article 6 § 1 de la directive 98/5 soumet l’avocat exerçant dans l’État membre d’accueil sous son titre professionnel d’origine, indépendamment des règles professionnelles et déontologiques auxquelles il est soumis dans son État membre d’origine, aux mêmes règles professionnelles et déontologiques, auxquelles sont soumis les avocats exerçant sous le titre professionnel approprié de l’État membre d’accueil.

Il convient donc de distinguer, d’une part, l’inscription auprès de l’autorité compétente de l’État membre d’accueil d’un avocat souhaitant exercer dans cet État membre, sous son titre professionnel d’origine, et, d’autre part, l’exercice lui-même de la profession d’avocat dans ledit État membre, lors duquel cet avocat est soumis, en vertu de l’article 6 § 1, de ladite directive, aux règles professionnelles et déontologiques applicables dans le même État membre.

Ces règles, contrairement à celles portant sur les conditions préalables requises pour cette inscription, n’ont pas fait l’objet d’une harmonisation et peuvent considérablement diverger de celles en vigueur dans l’État membre d’origine. Les règles professionnelles et déontologiques applicables dans l’État membre d’accueil doivent, pour être conformes au droit de l’Union européenne, notamment respecter le principe de proportionnalité, ce qui implique qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis. Il appartient, en l’espèce, à la juridiction de renvoi de procéder aux vérifications nécessaires en ce qui concerne la règle d’incompatibilité en cause dans l’affaire au principal.

En conclusion, l’article 3 § 2 de la directive 98/5 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale interdisant à un avocat ayant la qualité de moine, inscrit en tant qu’avocat auprès de l’autorité compétente de l’État membre d’origine, de s’inscrire auprès de l’autorité compétente de l’État membre d’accueil afin d’y exercer sa profession sous son titre professionnel d’origine, en raison de l’incompatibilité entre la qualité de moine et l’exercice de la profession d’avocat que cette législation prévoit.

Vincenzo Elia, « Précision des conditions d’inscriptions au barreau de l’État membre d’accueil », actualité du 20 mai 2019, disponible sur www.ceje.ch