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Annulation des accords internationaux conclus par l’Union européenne pour méconnaissance du droit international coutumier (Sahara occidental)

Mateusz Milek , 28 octobre 2024

Depuis les années 70, un conflit quant au statut du Sahara occidental oppose le Maroc et le Front Polisario, un mouvement qui milite pour l’exercice par le peuple du Sahara occidental de son droit à l’autodétermination et pour la création d’un État sahraoui souverain. C’est dans ce contexte que le Front Polisario a contesté devant le Tribunal de l’Union européenne la légalité de la décision du Conseil de l’Union relative à la conclusion de l’Accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable et de la décision du Conseil relative à la conclusion de l’accord modifiant des protocoles n° 1 et n° 4 de l'accord euro-méditerranéen, dont le champ d’application s’étendait au territoire du Sahara occidental.

Considérant que lesdits accords ont été conclus par l’Union sans avoir obtenu le consentement du peuple du Sahara occidental, le Tribunal de l’Union a annulé les décisions litigieuses, tout en maintenant temporairement leurs effets (aff. T-279/19 Front Polisario/Conseil et affs jointes T‑344/19 et T‑356/19 Front Polisario/Conseil). La Cour de justice a été saisie de pourvois formés contre ces arrêts par la Commission européenne et le Conseil de l’Union. Par ses arrêts du 4 octobre 2024 dans les affaires jointes C-778/21 P et C-798/21 P Commission et Conseil/Front Polisario ainsi que dans les affaires jointes C-779/21 P et C-799/21 P Commission et Conseil/Front Polisario, la Cour de justice, réunie en grande chambre, a rejeté les pourvois dans leur intégralité. Le raisonnement de la Cour s’est développé autour de deux éléments principaux.

Dans un premier temps, la Cour de justice a examiné la capacité à agir du Front Polisario devant les juridictions de l’Union. Conformément à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former un recours en annulation contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement. A cet égard, la Cour a rappelé que la notion de « personne morale », au sens de cette disposition ne saurait recevoir une interprétation restrictive. Dans la mesure où le Front Polisario cherche précisément, en se fondant sur le droit à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental, à établir un ordre juridique étatique pour ce territoire, il ne saurait être exigé, afin de lui reconnaître la capacité d’ester en justice devant les juridictions de l’Union, qu’il soit constitué en tant que personne morale conformément à un ordre juridique national particulier. La Cour de justice a également souligné que le Front Polisario est un interlocuteur privilégié dans le cadre du processus mené sous l’égide des Nations unies en vue de la détermination du futur statut du Sahara occidental et entretient des rapports juridiques bilatéraux au niveau international. Partant, la Cour a considéré que le Front Polisario peut ester en justice devant les juridictions de l’Union.

La Cour de justice s’est ensuite assurée si le Front Polisario était directement et individuellement concerné par les décisions litigieuses. S’agissant du critère de l’affection « directe », la Cour de justice a observé que ce critère doit être apprécié par rapport à la situation juridique du peuple du Sahara occidental, représenté par le Front Polisario. Etant donné que les accords que l’Union a conclus avec le Maroc s’appliquent sur le territoire à l’égard duquel le peuple du Sahara occidental possède le droit à l’autodétermination, la Cour a considéré que le Front Polisario était directement concerné par les décisions relatives à la conclusion desdits accords. Quan au critère de l’affectation « individuelle », la Cour de justice a constaté que le peuple du Sahara occidental, représenté par le Front Polisario, est individuellement concerné par la décision litigieuse dans la mesure où une inclusion expresse du territoire du Sahara occidental dans le champ d’application des accords litigieux modifie la situation juridique de ce peuple en raison de sa qualité de titulaire du droit à l’autodétermination par rapport à ce territoire. Pour la Cour, cette qualité le caractérise par rapport à toute autre personne ou entité, y compris par rapport à tout autre sujet de droit international.

Dans un second temps, la Cour de justice a examiné la compatibilité des décisions litigieuses avec le droit international coutumier. Elle a rappelé que conformément à l’article 3, paragraphe 5, et de l’article 21, paragraphe 1, TUE, l’action de l’Union européenne sur la scène internationale contribue, en particulier, au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations unies. En s’appuyant sur sa jurisprudence antérieure, la Cour de justice a rappelé que le peuple du Sahara occidental devait être regardé comme un « tiers », au sens du principe de l’effet relatif des traités et que l’inclusion du territoire du Sahara occidental dans le champ d’application d’un accord international devait recevoir le consentement d’un tel tiers (aff. C-104/16 P Conseil/Front Polisario). S’il est vrai que la Commission européenne et le Service européen pour l’action extérieure ont conduit des consultations avec les « populations concernées », ces dernières incluaient pour l’essentiel les populations qui se trouvent actuellement sur le territoire du Sahara occidental, indépendamment de leur appartenance ou non au peuple de ce territoire. Selon la Cour de justice, ces consultations ne sauraient donc équivaloir à l’obtention du consentement du « peuple » du territoire non autonome du Sahara occidental.

Contrairement aux considérations du Tribunal de l’Union, exprimées dans les arrêts attaqués, la Cour de justice a néanmoins accepté qu’un tel consentement peut être accordé de manière implicite pour autant que, d’une part, l’accord international ne crée pas d’obligations juridiques pesant sur ce peuple et que, d’autre part, il prévoie en sa faveur un avantage « précis, concret, substantiel et vérifiable » découlant de l’exploitation des ressources naturelles de son territoire. La Cour de justice a constaté que cette seconde condition n’était pas remplie en l’espèce, puisque les accords sous examen ne prévoyaient l’octroi d’aucune contrepartie financière au bénéfice, spécifiquement, du peuple du Sahara occidental. A la lumière de tout ce qui précède, la Cour de justice a rejeté les pourvois dans leur intégralité, confirmant ainsi le bien-fondé de l’annulation des décisions litigieuses par le Tribunal de l’Union.

Par cet arrêt, la Cour de justice réaffirme sa jurisprudence constante, selon laquelle l’Union est tenue d’exercer ses compétences dans le respect de l’ensemble du droit international, y compris les principes du droit international coutumier. Elle manifeste également une volonté d’interpréter de manière souple les conditions de recevabilité du recours en annulation, prévues à l'article 263, paragraphe 4, TFUE, afin de garantir une protection juridictionnelle effective aux sujets de droit international.

 

Reproduction autorisée avec la référence suivante : Mateusz Miłek, Annulation des accords internationaux conclus par l’Union européenne pour méconnaissance du droit international coutumier (Sahara occidental), actualité n° 29/2024, publiée le 28 octobre 2024, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch