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Marge d’appréciation des autorités nationales dans l’application de l’article 27 de la directive 2004/38

Sara Notario , 26 juin 2024

Dans l’affaire Pedro Francisco (C-62/23), ayant pour objet une demande de décision préjudicielle introduite par le tribunal administratif de Barcelone, la Cour de justice de l’Union européenne a interprété l’article 27 de la directive 2004/38 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres sur la possibilité de restreindre la liberté de circulation et de séjour d’un membre de la famille d’un citoyen de l’Union pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

Pedro Francisco, ressortissant d’un pays tiers et partenaire d’une ressortissante espagnole, s’est vu refuser sa demande de carte de séjour temporaire de membre de la famille d’un citoyen de l’Union par le gouvernement de Barcelone en raison d’une arrestation dont il a fait l’objet pour infraction présumée à la santé publique et appartenance à des organisations et groupes criminels. L’autorité compétente n’a pas conduit des recherches supplémentaires pour attester que le requérant a fait l’objet de poursuites pénales, son casier judiciaire étant vierge. Après ce refus, Pedro Francisco a introduit un recours devant le tribunal administratif. Ce dernier a décidé de saisir la Cour de justice de l’Union européenne, au titre de l’article 267 TFUE, pour être éclairée sur le point de savoir si l’autorité nationale compétente peut se baser sur des antécédents de police, et pas uniquement sur des poursuites pénales, pour restreindre le droit de séjour au sens de l’article 27 de la directive.

A titre préliminaire, la Cour de justice a établi que la ressortissante espagnole, qui est la conjointe du requérant, n’a pas exercé sa liberté de circulation au sein de l’Union. Par conséquent, le requérant ne peut tirer un droit de séjour dérivé ni de la directive ni de l’article 21 TFUE. Toutefois, la Cour rappelle qu’elle peut décider, afin de garantir une interprétation uniforme du droit de l’Union européenne, de statuer sur des demandes de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de dispositions du droit de l’Union dans des situations où les faits devant la juridiction de renvoi ne relèvent pas du champ d’application du droit de l’Union mais du droit national transposant des dispositions européennes (Lineas – Concessões de Transportes e.a., C-207/22, C-267/22 et C-290/22). En l’espèce, la Cour a rappelé que la notion d’« ordre public », établie à l’article 27 de la directive, avait déjà été interprétée par le Tribunal Supremo espagnol, à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice. Ce tribunal avait établi que la législation espagnole visant à transposer la directive s’applique également aux situations dans lesquelles les demandes de regroupement familial sont introduites par un ressortissant d’un État tiers, membre de la famille d’un citoyen de l’Union, n’ayant pas exercé sa liberté de circulation (Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real (Conjoint d’un citoyen de l’Union), C‑836/18).

Après cet examen, la Cour a rappelé que la possibilité de restreindre la liberté de circulation, en vertu de la directive 2004/38, est encadrée par des conditions strictes. La Cour a considéré qu’une arrestation n’ayant pas donné lieu à une condamnation pénale peut représenter l’un des éléments suffisants qui doivent être pris en compte par les autorités nationales. Toutefois, sur la base du fait que les condamnations pénales antérieures ne peuvent pas, à elles seules, justifier des mesures d’ordre public et de sécurité publique, a fortiori il en va de même pour l’arrestation en cause. Pour cette raison, un examen de la situation individuelle du requérant est nécessaire. La Cour a fourni des éléments sur la base desquels les autorités nationales devraient déterminer si le comportement d’un individu constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave justifiant une limitation à la liberté de séjour : les éléments au fondement de l’arrestation, en particulier la nature et la gravité des infractions ou des agissements en cause, le niveau d’implication de la personne concernée dans ceux-ci, l’existence éventuelle de motifs d’exonération de sa responsabilité pénale ainsi que le laps de temps écoulé depuis la commission présumée des infractions.

Lors de l’adoption de la mesure restrictive du droit à la libre circulation et de séjour en cause, les autorités nationales doivent également tenir compte du principe de proportionnalité. Cela implique une mise en balance entre, d’une part, la menace que le comportement personnel représente pour les intérêts fondamentaux de la société dans l’Etat membre d’accueil avec, d’autre part, la protection des droits tirés de la directive, et en particulier à la lumière du droit au respect de la vie privée et familiale (article 7 de la Charte des droits fondamentaux et article 8 de la CEDH).

Enfin, la Cour de justice a admis que les autorités nationales compétentes peuvent tenir compte d’une arrestation d’une personne pour déterminer si son comportement constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société, à condition qu’elles considèrent, expressément et de manière détaillée, les faits au fondement de l’arrestation et les éventuelles conséquences judiciaires de celle-ci.

Dans cet arrêt, la Cour de justice confirme que les autorités nationales compétentes jouissent d’une marge d’appréciation dans l’application de la directive, dans les limites imposées par le traité (Van Duyn, C-41/74), par le droit secondaire et à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice (voir, en particulier, K. et H. F. (Droit de séjour et allégations de crimes de guerre), C‑331/16 et C‑366/16). Les autorités compétentes sont obligées de tenir compte du comportement personnel de l’auteur de l’infraction et du danger qu’il représente pour l’ordre public (voir, entre autres, CS, C-304/14) afin de pouvoir adopter des mesures qui limitent les droits et libertés octroyés aux citoyens de l’Union ainsi qu’aux membres de leur famille, y compris les ressortissants de pays tiers, au sens de la directive 2004/38.

Reproduction autorisée avec la référence suivante : Sara Notario, Marge d’appréciation des autorités nationales dans l’application de l’article 27 de la directive 2004/38, actualité n° 20/2024, publiée le 26 juin 2024, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch