L’affaire NADA e.a. (C-115/22) soulève la question de savoir si une commission d’arbitrage indépendante compétente en matière de lutte contre le dopage dans le domaine du sport (l’Unabhängige Schiedskommission Wien, USK) peut être qualifiée de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, afin de pouvoir saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle. En l’espèce, la demande de décision préjudicielle a été introduite dans le cadre d’une procédure arbitrale opposant SO, une athlète de compétition, à une agence indépendante de lutte contre le dopage (Nationale Anti-Doping Agentur Austria GmbH, NADA) devant l’USK au sujet de la décision de celle-ci de publier les sanctions infligées à l’athlète en violation de la réglementation nationale antidopage. La question préjudicielle porte notamment sur l’interprétation de certaines dispositions du règlement (UE) 2016/679 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données).
Traitant de la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, la Cour de justice détermine si l’organisme en cause est habilité à saisir la Cour selon des critères tant structurels que fonctionnels. En ce qui concerne les critères structurels, la commission d’arbitrage indépendante en cause (l’USK) satisfait les critères tenant à son origine légale, à sa permanence, au caractère obligatoire de sa juridiction ainsi qu’à la nature contradictoire de la procédure devant elle. En ce qui concerne le critère d’indépendance, la Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle cette notion comporte un aspect interne et un externe (Wilson, C‑506/04; Banco de Santander, C‑274/14). Le premier aspect requiert que l’organisme concerné exerce ses fonctions en autonomie sans interventions ou pressions extérieures susceptibles de porter atteinte à l’indépendance de jugement de ses membres, dont le principe d’inamovibilité constitue une garantie inhérente. Le deuxième aspect est lié à la notion d’impartialité exigeant le respect de l’objectivité et l’absence de tout intérêt dans la solution du litige. Dans le cas d’espèce, le règlement de procédure de l’USK énonce que ses membres sont indépendants dans leurs fonctions et soumis au principe d’impartialité. Toutefois, ils sont désignés par le ministre fédéral des Arts, de la Culture, de la Fonction publique et des Sports pour un mandat renouvelable de quatre ans qui peut être révoqué pour « motifs sérieux ». A la lumière de ces considérations, la Cour distingue entre l’organisme dans le cas d’espèce et l’organisme de renvoi en cause dans l’affaire Consorci Sanitari del Maresme (C‑203/14), qui en revanche est composé de membres dont l’inamovibilité ne peut être dérogée que pour des causes expressément énumérées dans la réglementation pertinente.
En vertu du fait que les membres de l’USK peuvent être révoqués par un organe exécutif et sans que des critères précis ni des garanties précises soient préalablement établis, la Cour de justice conclut, contrairement à ce qui a été proposé par l’Avocate générale Ćapeta dans ses conclusions, que l’organisme en cause ne peut pas être qualifié de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE. La Cour précise toutefois que cette conclusion ne dispense pas l’USK de garantir l’application du droit de l’Union. La demande de décision préjudicielle est in fine jugée irrecevable par la Cour.
La Cour de justice a déjà admis dans sa jurisprudence que des similarités peuvent exister entre le rôle joué par une instance arbitrale et une instance judiciaire (Nordsee, C-102/81). Toutefois, dans l’arrêt NADA, la Cour confirme l’importance, pour tout organe qui souhaite poser une question préjudicielle, de se conformer à certains critères, dont le critère d’indépendance mentionné pour la première fois dans l’affaire Pretore di Salò, C-14/86 et confirmé ensuite dans Corbiau, C-320/91. L’analyse de la Cour repose donc sur une étude au cas par cas des organes qui pourraient être qualifiés de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE. Reste ouverte la question de savoir si ces critères sont exhaustifs et si, dans le futur, il ne serait pas souhaitable de faire un usage plus systématique de ces mêmes critères, en tenant compte des idiosyncrasies des systèmes administratifs et judiciaires dans tous les Etats membres (RODRIGUEZ-MEDAL, 2015).
Reproduction autorisée avec la référence suivante : Sara Notario, Arbitrage sportif et notion de juridiction, actualité n° 17/2024, publiée le 23 mai 2024, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch