Dans le cadre l’affaire Direktor na Glavna direktsia "Natsionalna politsia" pri MVR – Sofia, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que le droit de l’Union européenne s’oppose à la conservation générale et indifférenciée de données biométriques et génétiques, jusqu’à leur décès, des personnes condamnées pénalement.
En l’espèce, NG a été jugé coupable de faux témoignage, infraction pénale prévue dans le code pénal bulgare, et condamné à une peine d’un an. Après avoir purgé cette peine, NG a bénéficié d’une réhabilitation, sur la base de laquelle il a présenté une demande de radiation du registre national dans lequel les autorités de police bulgares inscrivent les personnes poursuivies pour une « infraction pénale intentionnelle relative à l’action publique ». Le directeur de la direction générale « Police nationale » auprès du ministère de l’Intérieur bulgare (DGPN) a rejeté la demande de NG. En première instance, le tribunal administratif de la ville de Sofia a rejeté le recours introduit par NG contre la décision du DGPN. En renvoi, la Cour administrative suprême de Bulgarie a émis un doute concernant la compatibilité avec le droit de l’Union d’une législation nationale conduisant à un droit « quasi illimité » au traitement des données personnelles dans la poursuite des objectifs tels que la prévention et détection des infractions pénales, d’enquêtes et poursuites en la matière ou exécution de sanctions pénales.
En vertu de l’article 267 TFUE, la Cour administrative suprême bulgare a introduit une demande de décision préjudicielle auprès de la Cour de justice de l’UE. La question porte sur l’interprétation de la directive (UE) 2016/680 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données (directive), notamment des articles 4, 5, 10, 13 et 16 de celle-ci lus à la lumière des droits protégés dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE.
La Cour de justice de l’Union européenne a développé son raisonnement autour de quatre axes principaux.
La Cour a d’abord confirmé que les droits protégés aux articles 7 et 8 de la Charte (respectivement, respect de la vie privée et familiale et protection des données à caractère personnel), n’étant pas des garanties absolues, sont sujets à des limitations, qui doivent être conformes à l’article 52 de la Charte. Selon une jurisprudence constante, les limitations doivent être nécessaires, répondre effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui (C-439/19, pt 105 et jurisprudence citée). Le principe de la « minimisation des données » prévu par la directive, en vertu duquel les mesures concernant le traitement et la conservation des données personnelles doivent être adéquates, pertinentes et non excessives, doit également être respecté. En l’espèce, conformément à l’article 5 de la directive, les Etats membres doivent prévoir la fixation de délais appropriés pour l’effacement des données personnelles ainsi que des règles procédurales pour en garantir le respect. Il doit être possible, d’ailleurs, pour les personnes concernées de vérifier le caractère « approprié » des délais et, le cas échéant, de demander un effacement, tel que prévu aux articles 13 et 14 de la directive.
Deuxièmement, la Cour a souligné l’importance du traitement spécifique de catégories particulières de données personnelles, telles que les données biométriques et génétiques. En raison de leur sensibilité, les données en cause sont susceptibles d’empiéter de manière accrue sur les libertés et droits fondamentaux (C-205/21, pt 116 et jurisprudence citée). Ce traitement est autorisé, en vertu de l’article 10 de la directive, uniquement en cas de « nécessité absolue » imposant un contrôle particulièrement strict du respect du principe de la « minimisation des données ».
Troisièmement, en reprenant les conclusions de M. l’avocat général Pikamäe, la Cour a jugé que les dispositions pertinentes de la directive n’exigent pas que les Etats membres définissent des limites temporelles absolues pour la conservation des données personnelles en vue de leur effacement. En l’espèce, les données de NG retenues dans le registre de police (notamment, documents d’identité, relevé des empreintes digitales, photographies, profilage ADN, données relatives aux infractions pénales commises et condamnations) sont considérées comme nécessaires et contribuant à l’objectif général de la prévention des infractions pénales. Toutefois, la conservation de données dans le cadre de toute « infraction pénale intentionnelle relevant de l’action publique », telle que définie en droit bulgare, revêt un caractère particulièrement général et n’est donc pas conforme au principe de minimisation des données. En se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (S et Marper c Royaume-Uni, §§ 125-126 ; Gaughran c Royaume-Uni, §93), la Cour de justice a jugé que la conservation des données, dans les conditions prévues par la législation nationale en cause, a un caractère excessivement étendu au regard des finalités pour lesquelles les données sont traitées.
En conclusion, les articles pertinents de la directive, ainsi que les articles 7 et 8 de la Charte, s’opposent à une législation nationale qui prévoit la conservation, par les autorités de police, de données biométriques et génétiques de personnes ayant fait l’objet d’une condamnation pénale définitive jusqu’au décès de cette personne, y compris en cas de sa réhabilitation, sans lui reconnaître le droit à l’effacement des données la concernant lorsque cette conservation n’est plus nécessaire.
Le présent arrêt vient enrichir le contentieux relatif au traitement et à la conservation des données personnelles. Il confirme que la marge dont jouissent les Etats membres dans la mise en œuvre d’une directive européenne ne peut pas ignorer les droits protégés dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE.
Reproduction autorisée avec la référence suivante : Sara Notario, Le respect de la proportionnalité dans la conservation des données biométriques et génétiques de personnes condamnées pénalement, actualité n° 6/2024, publiée le 16 février 2024, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch