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La qualité pour agir des associations représentatives des importateurs ou exportateurs dans le domaine de l’antidumping

Alicja Slowik , 3 octobre 2023

Par l’arrêt du 21 septembre 2023 China Chamber of Commerce for Import and Export of Machinery and Electronic Products e.a. / Commission (C-478/21 P), la Cour de justice de l’Union européenne a rejeté le pourvoi de l’association de droit chinois China Chamber of Commerce for Import and Export of Machinery and Electronic Products (la « CCCME ») introduit contre l’arrêt du Tribunal constatant la légalité de la procédure antidumping visant certains articles en fonte originaires de la République populaire de Chine (la « RPC ») et de l’Inde. Dans son jugement, la Cour de justice a apporté des clarifications sur la qualité pour agir des associations professionnelles contre les mesures antidumping.

Suite à une plainte déposée par plusieurs producteurs de l’Union européenne, la Commission européenne a ouvert une procédure antidumping concernant les importations de certains articles en fonte originaires de la RPC et de l’Inde. À l’issue de l’enquête, le 29 janvier 2018, la Commission a adopté le règlement d’exécution (UE) 2018/140 imposant un droit antidumping sur les importations de certains articles en fonte originaires de la RPC (le règlement litigieux). La CCCME, qui compte parmi ses membres des producteurs-exportateurs chinois de certains articles en fonte, ainsi que neuf autres producteurs-exportateurs chinois, ont introduit le recours contre le règlement devant le Tribunal. Dans l’arrêt du 19 mai 2021, le Tribunal a considéré que la CCCME avait qualité pour agir contre le règlement en son propre nom et au nom de ses membres. Il a pourtant rejeté le recours sur le fond. La CCCME a formé un pourvoi contre ce jugement. Elle demandait à la Cour de justice d’annuler l’arrêt du Tribunal ainsi que le règlement litigieux. La Commission européenne demandait à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il déclare recevable le recours en première instance.

Commençant par l’examen de la question de savoir si la CCCME avait la qualité pour agir en son propre nom, la Cour de justice a rappelé qu’en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, un recours introduit par une personne physique ou morale contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, est recevable à condition que cet acte la concerne directement et individuellement. S'agissant de la condition de l’affectation individuelle, la Cour a observé que « la portée exacte du droit de recours d’un particulier contre un acte de l’Union dépend de la position juridique définie en sa faveur par le droit de l’Union visant à protéger les intérêts légitimes ainsi reconnus ». Pour qu’une entité puisse être considérée comme étant individuellement concernée par les droits procéduraux garantis par le droit de l’Union, il faut que les droits procéduraux en question lui soient octroyés légalement.

Dans son arrêt, le Tribunal avait estimé que la CCCME était recevable à agir en justice au motif qu’au cours de la procédure antidumping ayant abouti à l’adoption du règlement litigieux la Commission européenne lui a octroyé les droits procéduraux. Or, selon la Commission, l’octroi des droits procéduraux était illégal vu que la CCCME n’était pas « une association représentative » au sens du règlement (UE) 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de l'Union européenne (le « règlement de base ») mais une « une émanation de l’État chinois ». La Cour de justice a constaté que le Tribunal avait omis d’examiner la légalité de la reconnaissance de ces droits procéduraux à la CCCME. La Cour a donc analysé la question de savoir si, en vertu du règlement de base, les droits procéduraux devaient être octroyés à la CCCME. A cet égard, il était essentiel de vérifier si la CCCME pouvait être qualifiée comme une « association représentative des importateurs ou exportateurs ».

Comme le règlement de base ne définit pas le terme « association représentative des importateurs ou exportateurs », la Cour de justice a procédé à l’interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de la notion en rappelant que celle-ci devrait être, dans la mesure du possible, conforme avec les accords internationaux, dont notamment l’accord antidumping. La Cour a jugé que pour qu’une entité puisse constituer une association représentative, il est nécessaire que cette entité, d’une part, jouisse d’une indépendance par rapport aux autorités étatiques afin de pouvoir assurer la représentation des intérêts collectifs et généraux des importateurs ou des exportateurs d’un produit faisant l’objet d’un dumping, et d’autre part, qu’elle compte parmi ses membres un nombre important d’importateurs ou d’exportateurs dont les importations ou les exportations de ce produit sont significatives. La Cour a ensuite mis l’accent sur l’existence des liens étroits entre la CCCME et la RPC. Les statuts de la CCCME indiquent clairement que le groupement se trouve sous la supervision, la gestion et la direction commerciale de deux ministères de la RCP. De plus, l’association n’a pas démontré qu’elle comptait parmi ses membres un nombre important d’importateurs ou d’exportateurs du produit concerné ni que les exportations de ce produit par ses membres étaient significatives. Dans ces circonstances, la Cour de justice a considéré que le recours introduit par la CCCME en son propre nom était irrecevable. Par conséquent, le Tribunal n’aurait pas dû examiner les moyens tirés d’une violation des droits procéduraux de la CCCME avancés à l’appui de ce recours. 

En ce qui concerne la question de la qualité pour agir de la CCCME en tant que représentant de ses membres, la Commission européenne soutenait que « comme la CCCME constitue une émanation de la République populaire de Chine et n’est pas organisée de manière démocratique, elle n’était pas recevable à introduire un recours en annulation au nom de certains de ses membres ». Cet argument a été écarté par la Cour de justice qui a souligné que le droit d’agir en justice d’une association au nom de ses membres n’était pas subordonné à une condition relative au caractère démocratique de l’organisation de celle-ci. La Cour a ainsi confirmé la recevabilité du recours introduit par la CCCME au nom de ses membres.

Sur le fond, la Cour de justice n’a pas remis en cause les conclusions du Tribunal quant à la conformité de la procédure antidumping avec le règlement de base. La Cour a notamment validé les extrapolations et les ajustements appliqués aux données de l’Eurostat aux fins de la détermination de l’existence d’un préjudice et a précisé les obligations de divulgation incombant à la Commission européenne dans le cadre la procédure administrative antidumping. Ainsi, le pourvoi introduit par la CCCME a été rejeté.

L’arrêt China Chamber of Commerce for Import and Export of Machinery and Electronic Products apporte des précisions sur la notion d’« association représentative » figurant dans le règlement de base ainsi que sur la qualité pour agir contre les mesures antidumping des organisations professionnelles qui ont des liens très étroits avec les autorités étatiques. Comme l’illustre la présente affaire, alors que le caractère non-démocratique de l’organisation de l’entité ne l’empêche pas de défendre les intérêts de ses membres en justice, sa subordination à l’égard de l’État peut faire obstacle à ce que lui soient octroyés des droits procéduraux propres.

Reproduction autorisée avec la référence suivante : Alicja Słowik, La qualité pour agir des associations représentatives des importateurs ou exportateurs dans le domaine de l’antidumping, actualité du CEJE n° 33/2023, 3 octobre 2023, disponible sur www.ceje.ch