Le 4 juin 2021, l’Union européenne a proposé des mesures commerciales urgentes, au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), pour lutter contre la crise sanitaire. L’Union européenne s’oppose, depuis plusieurs mois, à la proposition présentée par l’Inde et l’Afrique du sud concernant l’accord sur les ADPIC. Avec sa communication du 4 juin, l’Union européenne entend présenter des alternatives en adéquation avec ses priorités commerciales.
En octobre 2020, l’Inde et l’Afrique du sud ont proposé d’introduire des dérogations à certaines dispositions de l’accord sur les ADPIC jusqu’à ce qu’une vaccination largement répandue soit en place à l’échelle mondiale. Leur proposition vise à faciliter l’accès aux traitements et aux vaccins contre la Covid-19. La proposition signale que les droits de propriété intellectuelle entravent la fourniture de produits médicaux abordables aux patients. L’article 31bis de l’accord sur les ADPIC introduit des flexibilités mais ces dernières sont limitées aux brevets. La procédure pour avoir accès aux licences obligatoires est longue et inadéquate face à la crise sanitaire actuelle.
L’Union européenne s’oppose à cette proposition. La Commission européenne estime que les droits de propriété intellectuelle sont essentiels pour promouvoir la recherche et l’innovation. Elle affirme aussi que la rapidité avec laquelle des vaccins contre la Covid-19 ont été développés est la preuve que les droits de propriété intellectuelle fonctionnent. En revanche, le Parlement européen, dans une résolution du 10 juin 2021, a proposé d’entamer des négociations sur la levée temporaire des dispositions en matière de brevets pour améliorer l’accès aux médicaments liés à la Covid-19.
Face à cette situation difficile, l’Union européenne examine des alternatives à la proposition de l’Inde et de l’Afrique du sud. En juin 2020, elle avait proposé de supprimer les droits de douane des produits médicaux liés à la Covid-19, de mettre en place un programme de coopération mondiale pour faciliter l’importation et l’exportation des produits, et d’améliorer les règles actuelles de l’OMC applicables au commerce de biens essentiels. Ces idées ont été présentées au groupe d’Ottawa, un groupe formé par 13 membres de l’OMC avec des priorités commerciales similaires. L’initiative de l’Union européenne s’est transformée en une initiative « Commerce et santé », introduite par le groupe d’Ottawa le 23 novembre 2020 à l’OMC. Cette initiative ne vise pas les droits octroyés par l’accord sur les ADPIC mais se concentre sur une limitation des restrictions à l’exportation, une augmentation de la transparence, un renforcement de la coopération internationale et une réduction des droits de douane sur les biens médicaux.
Les efforts de l’Union européenne pour faire aboutir cette initiative « commerce et santé » se sont poursuivis avec les propositions du 4 juin 2021, lesquelles ont été adressées au Conseil général de l’OMC et au Conseil sur les ADPIC. La communication de l’UE se concentre sur trois aspects relatifs aux vaccins et traitements contre la Covid-19 : les restrictions à l’exportation, la capacité de production et l’utilisation des flexibilités existantes dans l’accord sur les ADPIC.
Premièrement, les restrictions à l’exportation devraient être ciblées, transparentes, proportionnées, temporaires et en accord avec les obligations de l’OMC. La réduction des restrictions à l’exportation de traitements et vaccins est sans doute souhaitable. Cependant, la proposition est surprenante puisque l’Union européenne a, elle-même, adopté des restrictions à l’exportation de vaccins qui s’appliquent, pour l’instant, jusqu’au 30 juin 2021.
Deuxièmement, les gouvernements devraient soutenir les fabricants de vaccins et de traitements contre la Covid-19 pour qu’ils puissent augmenter leur capacité de production. Cette mesure constitue une priorité, comme démontré par les retards observés ces derniers mois dans les livraisons de vaccins. L’Union européenne souhaite également encourager les investissements dans les régions qui n’ont pas de capacité de production. Elle a par exemple lancé une initiative pour augmenter la production de vaccins en Afrique, à travers des investissements en matière d’infrastructure, le développement des compétences des travailleurs, ou une meilleure gestion des chaînes d’approvisionnement.
Troisièmement, l’Union européenne encourage une utilisation renforcée des licences obligatoires, prévues dans l’accord sur les ADPIC. Elle plaide pour une plus grande effectivité de ce système et une interprétation extensive des articles 31 et 31bis de l’accord sur les ADPIC pendant la crise de la Covid-19. Elle propose d’inclure la pandémie de la Covid-19 dans la notion d’urgence nationale prévue par l’article 31, lettre b, de l’accord, de ne pas avoir à demander l’autorisation du détenteur du droit pour octroyer des licences obligatoires, d’établir une rémunération pour le détenteur du droit qui soit adaptée aux capacités des États à faibles revenus, et de simplifier la procédure d’obtention de licences obligatoires en limitant les notifications exigées.
L’opposition de l’Union européenne à la proposition sur la dérogation des droits de propriété intellectuelle a été fortement critiquée par l’opinion publique (voir par exemple les positions de Médecins sans frontières et de Human Rights Watch). L’Union essaie, dès lors, de convaincre les autres membres de l’OMC, notamment les États-Unis, avec les trois mesures proposées le 4 juin 2021. Toutefois, la séance du Conseil sur les ADPIC des 8 et 9 juin 2021 montre bien que la proposition de l’Inde et de l’Afrique du sud reçoit un soutien croissant et que l’Union européenne aura du mal à maintenir sa position.
Elisabet Ruiz Cairó, Propositions de l’UE à l’OMC relatives à des mesures commerciales pour faire face à la crise de la COVID-19 , actualité du CEJE n° 22/2021, disponible sur www.ceje.ch