Dans l’arrêt Subdelegación del Gobierno de Ciudad Real, du 27 février 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer, au titre de l’article 267 TFUE, sur les modalités de mise en œuvre du droit de séjour dérivé qui doit être reconnu, dans un Etat membre, sur le fondement de l’article 20 TFUE, à un ressortissant d’Etat tiers, membre de la famille d’un citoyen de l’Union européenne n’ayant jamais fait usage de sa liberté de circulation.
RH, ressortissant marocain, a épousé à Ciudad Real une ressortissante espagnole et a introduit une demande de titre de séjour en tant que membre de la famille d’un citoyen de l’Union. L’autorité compétente a refusé la demande au motif que la ressortissante espagnole n’avait pas établi qu’elle disposait personnellement des ressources financières suffisantes pour subvenir aux besoins de son époux. RH forme un recours et la juridiction en question estime que la disposition susmentionnée n’est pas applicable puisque la ressortissante espagnole n’a jamais exercé sa liberté de circulation. Le litige opposant RH à l’autorité espagnole est parvenu à la Cour supérieure de justice de Castille-La Manche, laquelle décide de poser des questions préjudicielles au sujet de l’interprétation de l’article 20 TFUE.
La Cour de justice affirme que cette disposition du traité s’oppose à ce qu’un Etat membre rejette une demande de regroupement familial, introduite par un ressortissant d’un Etat tiers, conjoint d’un citoyen de l’Union européenne qui n’a jamais exercé sa liberté de circulation, au seul motif que ce citoyen de l’Union ne dispose pas, pour lui et son conjoint, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système national d’assistance sociale. Ceci, sans qu’il ait été examiné s’il existe une relation de dépendance entre ledit citoyen de l’Union et son conjoint d’une nature telle que, en cas de refus d’octroi d’un droit de séjour dérivé à ce dernier, le même citoyen de l’Union serait contraint de quitter le territoire de l’Union européenne pris dans son ensemble et serait ainsi privé de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par son statut.
Plusieurs aspects de ce raisonnement méritent d’être approfondis.
Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, les éventuels droits conférés aux ressortissants d’Etats tiers ne sont pas des droits autonomes mais des droits dérivés de ceux dont jouit le citoyen de l’Union.
En l’espèce, le fait que la citoyenne de l’Union n’ait jamais exercé sa liberté de circulation est pertinent car, normalement, le droit de l’UE n’est applicable qu’à des situations comprenant un élément d’extranéité. Néanmoins, les droits conférés par la citoyenneté européenne peuvent s’appliquer à des situations internes à certaines conditions, comme reconnu par la Cour de justice dans l’arrêt Zambrano et confirmé dans lsa jurisprudence postérieure. La Cour avait reconnu la dépendance d’enfants par rapport à leurs parents. Dans le présent arrêt, la Cour ouvre la porte à l’acceptation éventuelle d’une relation de dépendance entre conjoints. Concernant l’examen de la relation de dépendance, la Cour de justice estime que celle-ci doit être telle qu’elle devrait aboutir à ce que le citoyen de l’Union soit contraint d’accompagner le ressortissant d’Etat tiers en cause et quitter le territoire de l’Union si ce dernier n’obtenait pas un droit de séjour. Seulement dans un tel cas, l’article 20 TFUE obligerait l’État membre concerné à reconnaitre un droit de séjour dérivé au ressortissant d’Etat tiers.
S’agissant du critère des ressources suffisantes, exigé par l’article 7 de la directive 2004/38, la Cour de justice rappelle l’arrêt Bajratari, dans lequel elle avait affirmé que « le droit de l’Union ne comporte […] pas la moindre exigence quant à la provenance de celles-ci ». En conséquence, le fait que les ressources soient garanties par le père de la ressortissante espagnole ne permet pas de conclure que ce critère ne soit pas rempli.
En conclusion, la Cour de justice ouvre la porte à l’admission d’une relation de dépendance entre conjoints dans le cadre de l’article 20 TFUE à certaines conditions et s’oppose à une application automatique des conditions de l’article 7 de la directive 2004/38, sans un examen concret et individuel de la relation de dépendance entre le ressortissant d’un État tiers et son conjoint, citoyen de l’Union européenne.
Flavia MARCOS CABAÇO, Interprétation du critère de dépendance dans le cadre de l’article 20 TFUE, actualité du CEJE nº 15/2020, disponible sur www.ceje.ch