Dans son arrêt de grande chambre Commission c. Conseil (AMP Antarctique), la Cour de justice de l’Union européenne pose des limites à la possibilité, pour l’Union européenne, d’agir seule sur la scène internationale dans un domaine de compétence partagée.
L’arrêt concerne deux recours en annulation introduits par la Commission européenne à l’encontre de deux actes adoptés dans le cadre de la Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique (CAMLR). Il s’agit, d’une part, de la décision de 2015 du Conseil de l’Union européenne, telle que contenue dans la conclusion du président du Coreper, approuvant la soumission au nom de l’Union européenne et des États membres d’un document de réflexion relatif à une proposition de création d’une aire marine protégée. D’autre part, la Commission européenne demande l’annulation de la décision de 2016 du Conseil approuvant la soumission au nom de l’Union européenne et des États membres de trois propositions de création d’aires marines protégées et d’une proposition de création de zones spéciales pour l’étude scientifique de l’espace maritime, du changement climatique et du recul des plateformes glaciaires.
La Cour précise d’abord la notion d’acte attaquable en vertu de l’article 263 TFUE. La question se pose notamment de savoir si la décision du Conseil de l’Union européenne, telle que contenue dans la conclusion du président du Coreper, peut être soumise à un recours en annulation. La Cour rappelle que le Coreper est un organe auxiliaire du Conseil avec des tâches de préparation et d’exécution. Elle établit, par ailleurs, que « l’Union étant une union de droit, un acte pris par le Coreper doit pouvoir être soumis à un contrôle de légalité lorsqu’il vise, comme tel, à produire des effets de droit et sort, dès lors, du cadre de cette fonction de préparation et d’exécution » (point 61). La Cour analyse le contexte et le contenu de la décision de 2015 ainsi que l’intention de son auteur pour en déduire que cette décision visait bien à produire des effets de droit. La décision de 2015 est donc un acte attaquable.
La Cour se penche ensuite sur la question de la compétence des États membres pour adopter les décisions attaquées. La Commission européenne considère que de telles décisions reviennent à l’Union européenne en vertu de sa compétence dans le domaine de la conservation des ressources biologiques de la mer, telle qu’établie à l’article 3, paragraphe 1, sous d), TFUE. Pour déterminer la matière à laquelle appartiennent les décisions adoptées, la Cour prend en compte non seulement le contenu et les objectifs poursuivis par lesdites décisions mais également leur contexte (point 76 ; comparer avec l’arrêt C-244/17 Accord UE-Kazakhstan du 4 septembre 2018, point 36). Ces trois variables permettent à la Cour de conclure que les décisions ont pour finalité principale la protection de l’environnement, alors que la pêche n’est qu’une finalité accessoire (point 100). De ce fait, les décisions attaquées relèvent de la compétence partagée de l’Union européenne et des Etats membres et non pas d’une compétence exclusive de l’Union comme le soutenait la Commission européenne.
La Commission soumet cependant que, même si adoptées dans un domaine de compétence partagée, les décisions pouvaient être prises par l’Union seule en se référant à l’arrêt de la Cour dans l’affaire C-600/14 Allemagne c. Conseil. La Cour confirme cette affirmation en signalant que « la seule circonstance qu’une action de l’Union sur la scène internationale relève d’une compétence partagée entre celle-ci et les États membres n’exclut pas la possibilité que le Conseil recueille en son sein la majorité requise pour que l’Union exerce seule cette compétence externe » (point 126). Cependant, la Cour ajoute, dans le présent arrêt une condition essentielle : cet exercice doit se faire dans le respect du droit international (point 127). Or, dans le cas d’espèce, l’exercice, par l’Union seule, de sa compétence partagée en matière d’environnement serait incompatible avec le droit international.
Pour parvenir à cette conclusion, la Cour évalue le fonctionnement de la commission CAMLR. Cette commission est régie par la convention de Canberra, qui s’applique spécifiquement à la commission CAMLR, et par le traité sur l’Antarctique, lequel gouverne l’ensemble des traités et des conventions internationaux applicables à l’Antarctique. Les organisations d’intégration régionale doivent adhérer à la convention de Canberra pour devenir membres de la commission CAMLR, ce que l’Union européenne a fait, mais ladite convention ne leur accorde pas un statut complètement autonome. Pour sa part, le traité sur l’Antarctique met en place des parties consultatives à la commission CAMLR, qui sont les États chargés de faire évoluer l’ensemble conventionnel relatif à l’Antarctique et d’en assurer la cohérence, et leur accorde des obligations et des responsabilités particulières. L’Union européenne n’est pas partie consultative au traité sur l’Antarctique alors que certains États membres ont acquis un tel statut renforcé. De ce fait, la Cour en déduit que « permettre à l’Union de recourir, au sein de la commission CAMLR, à la faculté dont elle dispose d’agir sans le concours de ses États membres dans un domaine de compétence partagée, alors même que, contrairement à elle, certains d’entre eux ont le statut de parties consultatives au traité sur l’Antarctique, risquerait, eu égard à la place particulière de la convention de Canberra au sein du système conventionnel sur l’Antarctique, de compromettre les responsabilités et les prérogatives de ces parties consultatives, ce qui pourrait affaiblir la cohérence dudit système conventionnel » (point 133).
Ce raisonnement amène la Cour à conclure que les deux décisions attaquées sont valides et les recours introduits par la Commission européenne sont rejetés. L’arrêt AMP Antarctique apporte ainsi des nouveaux éléments de réflexion au domaine de l’action extérieure de l’Union européenne. Une analyse plus stricte de la répartition des compétences entre l’Union et les États membres semble s’imposer et le contexte international devient un élément essentiel à prendre en compte dans la mise en œuvre de l’action extérieure par l’Union européenne.
Elisabet Ruiz Cairó, « Arrêt AMP Antarctique : limites à la possibilité pour l’UE d’agir seule dans un domaine de compétence partagée », actualité du 10 décembre 2018, www.ceje.ch