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L’impartialité des experts scientifiques de l’Agence européenne du médicament

Alicja Slowik , 11 juillet 2023

Dans l’arrêt du 22 juin 2023, rendu dans les affaires jointes Allemagne et Estonie/Pharma Mar et Commission (C-6/21 P et C-16/21 P), la Cour de justice de l’Union européenne a annulé l’arrêt du Tribunal concernant l’impartialité des experts de l’Agence européenne du médicament (EMA). La Cour a jugé qu’un hôpital universitaire ne saurait être qualifié d’ « entreprise pharmaceutique » au sens du point 3.2.2 de la politique de l’EMA.

Conformément à la procédure prévue dans le règlement n° 726/2004 établissant des procédures communautaires pour l'autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments, l’entreprise Pharma Mar, active dans le domaine de la recherche sur l’oncologie, a présenté à l’EMA une demande d’autorisation de mise sur le marché du médicament orphelin Aplidin élaboré pour traiter un cancer grave de la moelle osseuse. La Commission européenne a refusé cette demande en se basant sur l’avis négatif du comité des médicaments à usage humain de l’EMA. Pharma Mar a attaqué la décision de la Commission européenne (décision d'exécution de la commission refusant l'autorisation de mise sur le marché du médicament à usage humain "Aplidin -plitidepsine" au titre du règlement n°726/2004)  devant le Tribunal.

Le Tribunal a considéré que l’hôpital universitaire constitue une « entreprise pharmaceutique » au sens du point 3.2.2 de la politique de l’EMA. En vertu de cette politique, un emploi dans une entreprise pharmaceutique est, en principe, incompatible avec la participation aux activités de l’EMA.  Toutefois, les règles de l’EMA prévoient que sont exclus du champ de la définition d’entreprise pharmaceutique « les chercheurs indépendants et les instituts de recherche, y compris les universités et les sociétés savantes ». En l’espèce, deux experts du comité des médicaments à usage humain de l’EMA avaient été employés auprès d’un hôpital universitaire. Pour le Tribunal, la relation d’emploi de deux experts avec l’hôpital universitaire ainsi que l’engagement de l’un d’eux aux activités en lien avec des médicaments concurrents de l’Aplidin ont entaché l’impartialité objective du comité. Par conséquent, le Tribunal a annulé la décision de la Commission européenne (l’arrêt du 28 octobre 2020, T‑594/18, Pharma Mar/Commission). L’Allemagne et l’Estonie ont décidé de faire appel contre ce jugement devant de la Cour de justice de l’Union européenne. Les deux États soutenaient notamment que le Tribunal a commis une erreur de droit en assimilant l’hôpital universitaire à une « entreprise pharmaceutique ».

La Cour de justice de l’Union européenne a considéré qu’en ce qui concerne le marché des nouveaux médicaments, la procédure centralisée d’autorisation de l’Union est applicable également à l’égard de médicaments orphelins. Cette procédure garantit que les patients souffrant d’affections rares ont « droit à des médicaments dont la qualité, la sécurité et l’efficacité sont équivalentes à celles des médicaments dont bénéficient les autres patients. »  Elle a ajouté que la politique de l’EMA est un document s’appliquant à tous les médicaments, qu’ils soient orphelins ou non.

La Cour de justice a mis l’accent sur le fait que le législateur de l’Union a conféré à l’EMA une marge d’appréciation importante pour garantir l’impartialité des experts de cette agence : « [l]e législateur de l’Union a […] confié à l’EMA l’arbitrage à opérer entre, d’une part, la double exigence d’impartialité et d’indépendance de ses experts […] et, d’autre part, l’intérêt public […] tenant à la nécessité de disposer des meilleurs avis scientifiques possibles sur toute question relative à l’évaluation de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité des médicaments à usage humain ou vétérinaire qui lui est soumise. » 

La Cour de justice a par également analysé la question de savoir si un hôpital universitaire peut être assimilé aux « instituts de recherche » et ainsi être exclu du champ d’application de la définition d’ « entreprise pharmaceutique ». La Cour a jugé que des liens étroits peuvent être établis entre les hôpitaux universitaires et les universités. Les hôpitaux universitaires s’engagent dans les activités relatives à la fourniture des soins, à l’enseignement et à la recherche. Vu qu’ils ne participent pas à la commercialisation des médicaments, ils devraient être exclus de la notion d’« entreprise pharmaceutique ». Le fait qu’un hôpital universitaire contrôle le centre de thérapie cellulaire, qui lui-même, constitue une entreprise pharmaceutique, ne conduit pas à priver ledit hôpital du bénéfice d’exclusion de la catégorie des entreprises pharmaceutiques. La Cour a ainsi annulé l’arrêt attaqué et renvoyé l’affaire devant le Tribunal.

Dans cet arrêt, la Cour de justice a apporté plusieurs clarifications sur la notion d’ « entreprise pharmaceutique » tout en reconnaissant un large pouvoir d’appréciation à l’EMA dans la mise en œuvre de sa politique relative à l’impartialité des experts participants à ses activités. L’exclusion des hôpitaux universitaires du concept d’ « entreprise pharmaceutique » contribue au maintien d’un équilibre entre l’absence de conflits d’intérêts et l’exigence d’une expertise scientifique de haut niveau.

 

Reproduction autorisée avec la référence suivante : Alicja Słowik, L’impartialité des experts scientifiques de l’Agence européenne du médicament, actualité n° 23/2023, publiée le 11 juillet 2023, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch