Après la crise gazière qui a secoué l’Europe cet hiver, et comme annoncé par le rapport préliminaire des résultats de l’enquête sectorielle sur les marchés de l’énergie (voir notre actualité du 8 mars 2006), la Commission européenne a publié le 8 mars 2006 un Livre vert définissant six domaines prioritaires en vue d’établir une stratégie énergétique réalisant un équilibre entre développement durable, compétitivité et sécurité de l’approvisionnement. La consultation est ouverte jusqu’au 24 septembre 2006.
Les deux premiers domaines prioritaires, soit la réalisation des marchés européens de l’électricité et du gaz, et la sécurité de l’approvisionnement, qui couvre notamment l’amélioration de la sécurité des réseaux, visent à assurer le fonctionnement du réseau. Les autres priorités - un bouquet énergétique sûr, durable, efficace et diversifié, une approche intégrée de la lutte contre le changement climatique, un plan européen d’encouragement à l’innovation et une politique extérieure commune cohérente - assureront à l’avenir l’approvisionnement en énergie.
En ce qui concerne la réalisation des marchés intérieurs européens, la Commission aura une vue complète de la situation à la fin de l’année, lorsque les directives « électricité » et « gaz » (JO L 176 du 15.7.2003, p. 37 et p. 57) auront été mises en œuvre par tous les Etats membres et que l’étude sectorielle sera achevée. Il apparaît d’ores et déjà que la Commission concentrera ses efforts sur cinq axes : la réalisation d’un réseau unique, l’augmentation des capacités d’interconnexion, l’investissement dans les capacités de production, la séparation des activités de transport et de distribution, la stabilité et la prévisibilité du cadre réglementaire. Ces objectifs répondent notamment aux défauts du marché de gros constatés par l’enquête sectorielle.
A la lecture de ces objectifs, on constate que l’accent est donné en particulier sur l’accès au réseau de transport et les échanges transfrontaliers. La Commission envisage des règles communes sur les problèmes de régulation ayant des incidences sur les échanges transfrontaliers pour harmoniser l’accès au réseau, au moyen d’un code de réseau européen. La réalisation de ce code l’amènera à examiner et agir d’une part, sur les compétences et l’indépendance des autorités nationales de régulation et d’autre part, sur la collaboration entre ces autorités nationales avec les gestionnaires de réseau. Ces réflexions pourraient amener à la création d’un régulateur énergétique européen qui serait habilité à prendre des décisions sur des règles communes, notamment sur un code européen du réseau, qui aurait pour interlocuteur un organisme officiel regroupant les gestionnaires de réseau. De plus, la Commission définira de nouvelles mesures communautaires pour améliorer l’interconnexion entre Etats membres, avec l’objectif d’améliorer les instruments du réseau transeuropéen. A cet égard, le livre vert relève l’importance des relations avec la Suisse, « pays majeur pour le transit d’électricité », pour le fonctionnement du réseau européen. De fait, depuis l’ouverture des marchés de l’électricité et l’accroissement des échanges européens, les importations et exportations de courants de la Suisse sont presque équivalentes à sa consommation domestique. Cependant, les importations d’électricité prennent également en Suisse une importance croissante pour couvrir sa propre demande, nourrissant son intérêt à l’élimination des goulets d’étranglement à proximité de ses frontières (voir les « Nouvelles de l’électricité » du 28 avril 2006, sur le site de l’Association des entreprises électriques suisses).
C’est dans ce contexte qu’il faut placer les relations de la Communauté européenne avec la Suisse, qui pourront se concrétiser par la conclusion d’un accord bilatéral. Le Conseil fédéral a pour sa part approuvé le mandat de négociation le 17 mai dernier (voir le communiqué de presse du DETEC du 17 mai 2006). Du côté communautaire, il n’y a pas eu de décision à cet égard. Les négociations commenceront cette année encore.
Le cœur de cet accord concernera les conditions d’utilisation du réseau de transport suisse, la gestion des pénuries et l’indemnisation des coûts de transit. L’application de l’accord en Suisse devrait reposer sur la loi relative à l’approvisionnement en électricité (LApEl) actuellement examinée par la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie Conseil des États (CEATE-E).
Il faut à ce titre signaler que la CEATE-E a ouvert une consultation portant sur la proposition que le réseau de transport soit non seulement géré par une société d’exploitation indépendante, mais encore que la propriété du réseau soit transférée à cette dernière. La proposition s’inscrit dans les objectifs de durabilité, compétitivité et sécurité du livre vert auquel la CEATE-E se réfère expressément.
Outre les bénéfices en matière de concurrence déjà invoqués dans de précédentes versions du projet, le transfert de la propriété du réseau permet de concentrer dans un organisme unique la responsabilité des investissements et de l’exploitation du réseau de transport. Le régulateur prévu par le projet de loi n’aurait ainsi plus qu’un interlocuteur.
On le voit, la Communauté européenne et la Suisse ont un intérêt commun dans le fonctionnement d’un réseau européen d’électricité. La Suisse se prépare à revoir le fonctionnement de son marché intérieur et à en modifier la structure, affermissant ainsi sa position en vue des négociations de l’accord bilatéral.
Reproduction autorisée avec indication : Caroline Cavaleri Rudaz, "Une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable", www.ceje.ch, actualité du 31 mai 2006.