Dans le cadre l’affaire Abramovich contre Conseil (T-313/22), le Tribunal de l’Union européenne a maintenu les mesures restrictives adoptées par le Conseil de l’Union européenne à l’encontre de M. Abramovich.
Depuis mars 2014, le Conseil a adopté des mesures restrictives visant les actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. En février 2022, il a, entre autres, adopté des mesures concernant des restrictions applicables aux relations économiques avec les régions non contrôlées par le gouvernement de Donetsk et de Lougansk, des restrictions à l’accès au marché des capitaux, l’ajout de membres du gouvernement, de banques, d’hommes d’affaires, de généraux ainsi que de membres de la Douma d’État de la Fédération de Russie sur la liste des personnes, des entités et des organismes faisant l’objet de mesures restrictives. Certaines de ces listes visent M. Roman Arkadyevich Abramovich, homme d’affaires de nationalité russe, israélienne et portugaise demeurant en Russie, en raison, d’une part, de ses liens étroits et de longue date avec le président de la Fédération russe et, d’autre part, de son rôle d’actionnaire d’un des plus grands contributeurs à l’économie russe - le groupe sidérurgique Evraz.
Dans le cadre du recours en annulation, M. Abramovich a demandé l’annulation des actes qui le concernent. Le requérant a soulevé plusieurs moyens, dont la violation de ses droits fondamentaux et une erreur manifeste d’appréciation du Conseil concernant son inscription sur la liste des mesures restrictives. Il a également demandé, sur le fondement de l’article 268 TFUE, la réparation du préjudice subi en lien avec l’adoption des mesures à son encontre sous la forme d’un versement de 1 million d’euros à une fondation caritative en cours d’établissement suite à la vente de Chelsea FC, dont il était président.
Le Tribunal de l’Union européenne a développé son raisonnement autour de quatre axes principaux. Le Tribunal a d’abord rappelé la jurisprudence constante de la Cour de justice concernant l’obligation de motiver un acte, exigée à l’article 296 TFUE, en tant que corollaire de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux (Commission e.a. contre Kadi, C-584/10 P, C-591/10 P et C-595/10 P ; Conseil contre Bamba, C-417/11 P ; Conseil contre PKK, C-46/19 P ; RT France c Conseil, T-125/22). Il a en l’espèce considéré que le contexte ayant conduit le Conseil à adopter les mesures en cause ainsi que les bases juridiques de celles-ci sont suffisamment exposés dans les considérants des actes attaqués.
Deuxièmement, le Tribunal a jugé que le Conseil a défini clairement les motifs de l’inscription de M. Abramovich sur la liste des mesures restrictives et apporté des précisions supplémentaires relatives aux liens entretenus entre le requérant et le président Poutine. L’inclusion du requérant dans des activités caritatives, humanitaires et de médiation ne saurait être considérée comme un changement des circonstances. Le Conseil n’a ainsi pas violé l’obligation de réexaminer la situation du requérant et s’est acquitté de ses obligations en ce qui concerne le respect du droit du requérant d’être entendu.
Troisièmement, selon le Tribunal, le Conseil n’a pas commis une erreur d’appréciation dans l’inscription et le maintien du requérant sur les listes. Il ne relève pas de la personne inscrite sur la liste des mesures restrictives d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé des motifs d’inscription. Il incombe, en revanche, au juge de vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations. En l’espèce, dans l’application du critère d’inscription à savoir, les liens entretenus avec le président Poutine et la qualité d’actionnaire majeur dans Evraz, la notion de « femmes et hommes d’affaires influents » doit être comprise comme visant leurs statuts professionnels, leurs activités économiques, leurs possessions capitalistiques ou leurs fonctions au sein d’une ou de plusieurs entreprises dans lesquelles ils exercent ces activités. Or, il ressort des éléments du dossier de l’affaire que le requérant détient directement 28,64 % du capital social de la société mère d’Evraz et que seulement trois autres actionnaires de celle-ci détiennent une participation supérieure à 5 %. De plus, le secteur sidérurgique et des mines, dans lequel intervient le requérant par l’intermédiaire d’Evraz, fournit une source substantielle de revenus au gouvernement russe.
Enfin, le Tribunal a conclu que les limitations aux droits fondamentaux invoqués, notamment le droit au respect de la vie privée (article 7 de la Charte), le droit à la liberté d’entreprise (article 16), le droit de propriété (article 17) et le droit de circulation et de séjour (article 45), sont prévues par la loi et respectent le contenu essentiel de ces droits. Elles visent un objectif d’intérêt général et sont proportionnées.
S’agissant de la demande d’indemnisation du requérant, elle est rejetée car le critère de l’illégalité du comportement du Conseil n’est pas satisfait.
En conclusion, le recours de M. Abramovich est rejeté et son inscription sur la liste des mesures restrictives est maintenue. Cette affaire vient enrichir le contentieux en matière de mesures restrictives. Elle met en lumière l’équilibre à trouver entre les objectifs d’intérêt général dans l’action extérieure de l’Union européenne et la protection des droits fondamentaux des individus dans un contexte géopolitique délicat.
Reproduction autorisée avec la référence suivante : Sara Notario, Maintien des mesures restrictives à l’encontre de M. Abramovich, actualité n° 3/2024, publiée le 30 janvier 2024, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch