Dans l’arrêt AF c/ Guvernul României (aff. C‑489/23) du 4 septembre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne a apporté des clarifications sur les conditions et les modalités de remboursement des coûts des soins transfrontaliers au titre de la Directive 2011/24 relative à l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers (Directive 2011/24) lue à la lumière de l’article 56 TFUE qui garantit le principe de la libre prestation des services.
En l’espèce, AF, un résident roumain affilié au système public d’assurance maladie national, s’est vu diagnostiquer, dans un établissement médical privé roumain, un adénocarcinome de la prostate. Le traitement recommandé consistait en une opération assistée par un robot chirurgical. AF a décidé de bénéficier de cette opération dans une clinique spécialisée se consacrant exclusivement à cette pathologie, située en Allemagne. Après l’opération, le patient a demandé à la caisse d’assurance maladie roumaine le remboursement des coûts des soins de santé qu’il avait reçus en Allemagne. Cette demande a été rejetée. Selon la caisse d’assurance maladie, AF ne pouvait pas prétendre à ce remboursement, puisqu’il n’avait pas joint à sa demande une copie de la « demande d’admission à l’hôpital ». En vertu de la législation roumaine, un tel document aurait dû être établi par un médecin relevant du système public d’assurance maladie roumain avant le début de la dispense des soins de santé programmés dans un autre État membre.
AF a introduit un recours contre cette décision devant la cour d’appel de Târgu Mureș. À la suite du rejet de son recours, AF a décidé de former un pourvoi devant la Haute Cour de cassation et de justice. Cette dernière juridiction avait des doutes quant à la conformité du régime roumain de remboursement des prestations médicales transfrontalières avec la directive 2011/24 et l’article 56 TFUE. Dans ces circonstances, elle a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice au titre de l’article 267 TFUE.
La demande de décision préjudicielle portait en substance sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 7, de la directive 2011/24 qui permet à l’État membre d’affiliation d’imposer à une personne assurée désireuse de bénéficier du remboursement des coûts des soins de santé transfrontaliers les mêmes conditions et formalités que celles qu’il imposerait si ces soins de santé étaient dispensés sur son territoire. La dernière phrase l’article 7, paragraphe 7, de la directive précise que lesdites conditions et formalités ne peuvent pas être discriminatoires ou constituer une entrave à la libre circulation des patients, des services ou des marchandises à moins d’être justifiées par des intérêts légitimes. La Haute Cour de cassation et de justice souhaitait savoir si ladite disposition s’opposait à la législation nationale qui subordonnait la prise en charge des prestations médicales transfrontalières à la réalisation d’un examen médical par un médecin relevant du système de santé public de l’État membre d’affiliation, à l’exclusion d’un médecin relevant du système de santé privé de cet État, et à la délivrance subséquente, par un tel médecin, d’un document autorisant l’hospitalisation de cet assuré.
La Cour de justice a d’abord observé qu’en vertu de l’article 7, paragraphe 7, de la directive 2011/24, un État membre d’affiliation était, en principe, en droit d’exiger que le remboursement des coûts des soins de santé transfrontaliers soit subordonné à un examen médical de la personne assurée par un médecin relevant du système de santé ou d’assurance maladie public de cet État membre, ayant donné lieu à la délivrance, par ce médecin, d’un document autorisant l’hospitalisation de cette personne. Elle a souligné que les États membres disposaient d’une « large marge d’appréciation » pour définir les modalités et les conditions de prise en charge des prestations de soins de santé transfrontaliers, de sorte qu’ils pouvaient prévoir de soumettre de telles prestations à certaines conditions.
La Cour a ensuite examiné la question de savoir si la condition prévue par le droit roumain respectait les limites énoncées à la dernière phrase de l’article 7, paragraphe 7, de la directive 2011/24. A cet égard, elle a rappelé que conformément à sa jurisprudence portant sur l’interprétation de l’article 56 TFUE, une réglementation nationale constituait une entrave à la libre prestation des services lorsqu’elle avait un effet dissuasif sur le recours à des prestations de santé transfrontalières. Or, la réglementation roumaine qui impose la condition relative à l’examen par un médecin relevant du système public d’assurance maladie roumaine et à la présentation d’un document autorisant l’hospitalisation établi par le même médecin, peut produire un tel effet. Elle constitue donc une entrave à la libre prestation des services garantie à l’article 56 TFUE.
Selon les autorités roumaines, l’entrave en question était justifiée par les objectifs relatifs au maintien de l’équilibre financier du régime de sécurité sociale national ainsi qu’à la nécessité de maîtriser les coûts et d’éviter le gaspillage des ressources financières. Toutefois, pour la Cour, ces objectifs légitimes pourraient être atteints par des mesures moins restrictives telles que la mise en place d’une procédure visant à accepter des certificats ou des rapports médicaux équivalents, assortie d’un contrôle de la justesse apparente du diagnostic et de la pertinence du traitement proposé. En conclusion, faute de satisfaire à l’exigence de proportionnalité, la réglementation roumaine constitue une entrave à la libre prestation des services qui ne saurait être justifiée au titre de l’article 7, paragraphe 7, de la directive 2011/24, lu à la lumière de l’article 56 TFUE.
L’arrêt AF c/ Guvernul României confirme et développe la ligne jurisprudentielle relative à l’accès aux soins médicaux transfrontaliers et à libre circulation des patients (aff. C-158/96 Kohll; aff. C-157/99 Smits-Peerbooms). Dans la présente affaire, la Cour de justice rappelle que sous la directive 2011/24, les États membres disposent d’une large marge d’appréciation en matière de détermination des modalités et des conditions de prise en charge des prestations de soins de santé transfrontaliers. Cependant, toute entrave à la libre prestation des services et la libre circulation des patients doit être dûment justifiée et conforme au principe de proportionnalité dont le respect est soumis au contrôle assidu de la Cour de justice.
Reproduction autorisée avec la référence suivante : Alicja Słowik, Le remboursement des coûts des soins médicaux transfrontaliers et la libre prestation des services, actualité n° 29/2025, publiée le 12 septembre 2025, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch