La protection de santé publique constitue l’un des principaux objectifs d’intérêt général qui peuvent justifier des restrictions à l’exercice des libertés fondamentales protégées par le droit de l’Union européenne. Dans sa jurisprudence, la Cour de justice de l’Union européenne a confirmé, à plusieurs reprises, le bien-fondé des mesures qui limitent des libertés économiques au nom de la lutte contre le tabagisme (v. p. ex. Allemagne c. Parlement et Conseil (C-380/03), Pillbox 38 (C-477/14) , Philip Morris (C‑547/14)). Dans l’affaire FA.RO. (C‑16/23), la Cour de justice a été appelée à apprécier la conformité du régime d’autorisation pour l’exercice de l’activité de vente au détail de produits du tabac avec la Directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur (« directive 2006/123 »).
En l’espèce, la société FA.RO. était titulaire d’une licence lui permettant de vendre du tabac dans l’établissement « Bar Rino », situé à Finale Ligure en Italie. Le 19 novembre 2021, l’Agence des douanes et des monopoles (l’« ADM ») a entamé la procédure de révocation de cette licence au motif que le point de vente ordinaire de tabac, auquel la licence de FA.RO. était rattachée pour approvisionnement, situé à une distance inférieure à 300 mètres, avait installé un distributeur automatique de cigarettes en mai 2021. En vertu de la réglementation italienne, cette circonstance faisait obstacle au maintien de la licence. Par la suite, la société FA.RO. a introduit une demande visant à obtenir l’institution d’un nouveau point de vente ordinaire dans son établissement en raison d’une forte affluence des consommateurs. L’ADM n’a pas fait droit à cette demande de FA.RO., au motif que les conditions de distance et de ratio point de vente/population résidente, fixées dans la réglementation italienne, n’étaient pas satisfaites.
FA.RO. a introduit un recours contre la décision de l’ADM devant le tribunal administratif régional de Ligurie. La société argumentait notamment que la réglementation italienne applicable en l’espèce est contraire à la directive 2006/123. En vertu de l’article 10 de directive 2006/123, les régimes d’autorisation concernant l’exercice d’une activité de service doivent reposer sur « des critères qui encadrent l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités compétentes afin que celui-ci ne soit pas utilisé de manière arbitraire. » Dans ces circonstances, le tribunal administratif régional de Ligurie a décidé de surseoir à statuer et d’adresser à la Cour de justice une demande de décision préjudicielle. Le juge italien demandait si la directive 2006/123 s’opposait à la législation nationale qui fixe des restrictions à l’autorisation des points de vente de produits du tabac en fonction d’une distance géographique minimale entre les prestataires et en fonction de la population résidente.
La Cour de justice a d’abord rappelé que les dispositions de la directive 2006/123 s’appliquent à une situation dont les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre. Elle a observé que la réglementation italienne qui soumet l’ouverture d’un point de vente de produits du tabac à la décision favorable de l’ADM relève de la notion de « régime d’autorisation » au sens de la directive 2006/123.
La Cour a ensuite examiné la question de savoir si les conditions fondées sur une distance minimale entre les prestataires et sur la démographie, prévues par la réglementation italienne, constituent des critères répondant aux caractéristiques énumérées à l’article 10 de la directive 2006/123. L’article 10, paragraphe 2, de la directive précise que ces critères doivent être « non discriminatoires, justifiés par une raison impérieuse d’intérêt général, proportionnels à cet objectif d’intérêt général, clairs et non ambigus, objectifs, rendus publics à l’avance et, enfin, transparents et accessibles ».
Pour la Cour, la législation en question pouvait être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, à savoir, la protection de la santé publique. En revanche, des considérations de nature purement économique ne peuvent constituer une raison impérieuse d’intérêt général. A cet égard, la Cour de justice a relevé que la réglementation italienne se réfère explicitement à « la nécessité d’adapter le réseau de vente à l’intérêt du service et de garantir les recettes ». Dans ces circonstances, la juridiction de renvoi devrait vérifier si les critères établis par la réglementation nationale ne conduisent pas à appliquer un test économique consistant à subordonner l’institution d’un nouveau point de vente du tabac à la preuve de l’existence d’un besoin économique.
Dans le cadre de l’examen de la proportionnalité de la réglementation nationale, la Cour de justice a considéré que la combinaison des conditions afférentes à la distance et à la démographie est apte à empêcher que l’offre augmente de manière incontrôlée et entraîne un accroissement de la consommation de tabac. Cependant, la juridiction de renvoi devra apprécier si l’augmentation du nombre de distributeurs automatiques de tabac ne remet pas en cause le caractère cohérent et systématique de la réglementation nationale. S’agissant de la nécessité de la mesure en cause, la Cour de justice a rappelé que les États membres disposent d’une marge d’appréciation en ce qui concerne la détermination du niveau de la protection de santé publique et les moyens pour l’atteindre.
Enfin, la Cour de justice a relevé qu’en vertu de la réglementation italienne, la satisfaction des conditions concernant la distance et la démographie ne garantit pas la délivrance d’une autorisation pour un nouveau point de vente du tabac. En effet, cette législation prévoit que, lors de l’institution des points de vente, les autorités administratives doivent tenir compte de « l’intérêt du service ». Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si cette exigence supplémentaire est susceptible de remettre en cause « le caractère clair, non ambigu, objectif et transparent » des critères encadrant le pouvoir des autorités administratives.
L’arrêt FA.RO. apporte des clarifications utiles sur les conditions auxquelles doivent répondre les régimes d’autorisation limitant l’accès à une activité de service ou à son exercice. Par le présent jugement, la Cour de justice rappelle que la mise en œuvre par les États membres des mesures visant la protection de la santé et la lutte contre le tabagisme doit satisfaire aux exigences concrètes dont le respect n’échappe pas au contrôle juridictionnel.
Reproduction autorisée avec la référence suivante : Alicja Słowik, La compatibilité du régime d’autorisation de la vente de produits du tabac avec la directive 2006/123, actualité n° 28/2024, publiée le 28 octobre 2024, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch