Dans l’arrêt du 11 mai 2023 Manitou et Bricolage Investissement France (Affaires jointes C‑407/22 et C‑408/22), la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que l’article 49 TFUE s’oppose à une législation nationale refusant un avantage fiscal à des sociétés non membres d’une intégration fiscale raison des dividendes perçus de leurs filiales établies dans d’autres États membres.
En l’espèce, deux sociétés françaises, Manitou et Bricolage Investissement France, ont perçu des dividendes provenant de filiales établies dans des États membres autres que la France. Conformément à la législation française, elles ont déduit ces dividendes de leur bénéfice net, à l’exception d’une quote‑part de frais et charges, forfaitairement fixée à 5 % du montant des dividendes perçus. Estimant que la réintégration de cette quote-part dans leur résultat fiscal constituait une violation de la liberté d’établissement, les sociétés ont demandé à l’administration fiscale française de pouvoir bénéficier de la déduction de l’intégralité des dividendes reçus de leurs filiales. Les autorités administratives nationales ont rejeté ces demandes au motif que les sociétés n’étaient pas membres d’une intégration fiscale et ne pouvaient pas bénéficier de l’avantage fiscal en question. Or, en vertu de la législation nationale, il n’était pas possible pour une société mère résidente d’opter pour le régime d’intégration fiscale avec ses seules filiales situées dans d’autres États membres. Les sociétés ont attaqué ces décisions devant les juridictions françaises. Statuant en dernier ressort sur ces deux affaires, le Conseil d’État a décidé d’adresser à la Cour de justice de l’Union européenne la question portant sur l’interprétation du principe de liberté d’établissement consacré à l’article 49 TFUE. Plus précisément, le Conseil d’État demande si l’article 49 TFUE s’opposait à un régime d’intégration fiscale en vertu duquel un avantage fiscal est refusé à une société mère résidente n’ayant pas opté une telle intégration malgré l’existence de liens capitalistiques avec d’autres sociétés résidentes le permettant.
La Cour de justice de l’Union européenne a rappelé sa jurisprudence constante en vertu de laquelle toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de la liberté garantie à l’article 49 TFUE doivent être considérées comme étant des restrictions à la liberté d’établissement (pt 20). La Cour a également souligné que « la liberté d’établissement est entravée si, en vertu d’une législation d’un État membre, une société résidente détenant une filiale ou un établissement stable dans un autre État membre subit une différence de traitement fiscal désavantageuse par rapport à une société résidente détenant un établissement stable ou une filiale dans le premier État membre » (pt 22). La Cour de justice a ensuite observé que conformément à la législation fiscale française applicable en l’espèce, « les dividendes perçus par une société mère résidente faisant partie d’un groupe fiscal intégré, et qui ont été distribués par ses filiales appartenant au même groupe fiscal, sont […] entièrement exonérés de l’impôt sur les sociétés dans cet État membre » (pt 25). En revanche, une société mère résidente qui n’est pas membre d’un groupe fiscal intégré ne peut pas bénéficier de l’exonération fiscale.
Par ailleurs, la Cour de justice a considéré qu’une société mère résidente peut opter à tout moment pour le régime d’intégration fiscale avec ses filiales situées en France remplissant les critères d’éligibilité. Par contre, une telle option est exclue pour une société mère résidente souhaitant s’intégrer avec ses seules filiales situées dans d’autres États membres. Il en découle qu’une société mère résidente détenant des filiales situées dans d’autres États membres ne peut pas bénéficier de l’avantage fiscal à moins qu’elle fît préalablement partie d’un groupe fiscal intégré en France avec des sociétés résidentes. Ayant identifié une différence de traitement, la Cour a considéré que la situation des sociétés ayant opté pour le régime d’intégration fiscale et celle des sociétés qui n’appartenait pas au groupe fiscal intégré étaient comparables. Enfin, elle a observé que ni la juridiction de renvoi ni le gouvernement français n’ont invoqué l’existence des raisons impérieuses d’intérêt général qui pourraient justifier la différence de traitement en cause.
La Cour de justice a conclu que l’article 49 TFUE s’opposait à la réglementation nationale sur la base de laquelle une société mère résidente ayant opté pour une intégration fiscale avec des sociétés résidentes peut bénéficier d’un avantage fiscal à raison des dividendes perçus par elle de ses filiales situées dans d’autres États membres qui, si elles avaient été résidentes, y auraient été objectivement éligibles, sur option, lorsqu’un tel avantage fiscal est refusé à une société mère résidente n’ayant pas opté pour une intégration fiscale malgré l’existence de liens capitalistiques avec d’autres sociétés résidentes le permettant.
Bien que les affaires Manitou et Bricolage Investissement France concernent la législation fiscale française en vigueur avant 2016, la solution proposée par la Cour de justice est transposable au régime actuellement applicable en France. Les sociétés mères n’ayant pas constitué de groupe intégré par choix pourront ainsi bénéficier de la déduction de l’intégralité des dividendes reçus de filiales établies dans un État membre de l’Union européenne et satisfaisant aux conditions d’éligibilité au régime d’intégration fiscale autres que celle de la résidence.
Reproduction autorisée avec la référence suivante : Alicja Słowik, La différence du traitement dans le cadre du régime d’intégration fiscale contraire à la liberté d’établissement, actualité n° 16/2023, publiée le 19 mai 2023, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch