Le 26 octobre 2021, la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne a jugé qu’une convention d’arbitrage conclue ad hoc entre un État membre et un investisseur établi dans un autre État membre est incompatible avec le droit de l’Union européenne. Elle a ainsi confirmé et renforcé la portée de l’arrêt Achmea rendu le 6 mars 2018.
La position prise par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire Achmea a marqué les esprits. Selon la formule de certains auteurs, cet arrêt a porté « un rude coup »[1] ou « un coup de tonnerre »[2] à l'arbitrage en matière d'investissement. En l’espèce, la Cour de justice a jugé que les clauses d’arbitrage contenues dans les traités bilatéraux d’investissement conclus entre États membres portent atteinte à l'autonomie du droit de l'Union européenne et, plus spécifiquement, au système de protection juridictionnelle institué par l'article 19 du TUE et les articles 267 et 344 du TFUE. Elle a en particulier observé qu’en vertu de ces clauses, des différends susceptibles de concerner l'interprétation ou l'application du droit de l'Union européenne peuvent être tranchés par des tribunaux arbitraux sans que les questions relevant du droit de l'Union européenne puissent être soumises à la Cour de justice dans le cadre d'un renvoi préjudiciel.
Les clauses d’arbitrages contenues dans les traités bilatéraux d’investissement conclus entre États membres permettent en effet à ces derniers de soustraire à la compétence de leurs propres juridictions et, partant, au contrôle de la Cour de justice, des litiges pouvant porter sur l’application ou l’interprétation de ce droit. Elles sont par conséquent incompatibles avec le droit de l’Union européenne et ne peuvent servir de fondement à une procédure d’arbitrage entre un investisseur et un État membre.
Dans l’affaire PL Holdings, la défenderesse au principal a tenté de contourner la jurisprudence Achmea en avançant une argumentation différente de celles développées antérieurement. Elle a soutenu qu’en l’espèce, la compétence du tribunal d’arbitrage ne se fondait pas sur une clause d’arbitrage contenue dans un traité bilatéral d’investissement conclu entre États membres mais résultait d’une convention d’arbitrage ad hoc conclue entre un État membre et un investisseur d’un autre État membre. Cette convention trouvait son fondement dans la volonté commune des parties et a été conclue selon les mêmes principes qu’une procédure d’arbitrage commercial. L’arrêt Achmea ne trouvait pas ainsi à s’appliquer à une telle convention.
La Cour de justice n’a pas retenu cet argument. Elle a rappelé que les États membres ne peuvent pas soustraire au système juridictionnel de l’Union européenne des différends portant sur l’interprétation et l’application du droit de l’Union européenne. Elle a en particulier jugé que permettre à un État membre, qui est partie à un litige susceptible de porter sur l’application et l’interprétation du droit de l’Union, de soumettre ce litige à un organisme arbitral par la conclusion d’une convention d’arbitrage ad hoc avec un investisseur d’un autre État membre, « entraînerait en réalité un contournement des obligations découlant pour cet État membre des traités et, tout particulièrement, de l’article 4, paragraphe 3, TUE ainsi que des articles 267 et 344 TFUE […] » (point 47).
La Cour de justice a en particulier tenu compte du fait que la raison d’être d’une telle convention d’arbitrage ad hoc était précisément de remplacer une clause d’arbitrage nulle contenue dans un traité bilatéral d’investissement conclu entre le Gouvernement du Royaume de Belgique et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg, d’une part, et le Gouvernement de la République populaire de Pologne, d’autre part (point 48). Une telle pratique aurait pour conséquence de maintenir les effets de l’engagement, pris par les États concernés en violation du droit de l’Union, d’accepter la compétence d’un organisme d’arbitrage (point 50). De surcroît, cette approche juridique pourrait être adoptée « dans une multitude de litiges susceptibles de concerner l’application et l’interprétation du droit de l’Union, portant ainsi atteinte de manière répétée à l’autonomie de ce droit » (point 49).
Les conventions d’arbitrage ad hoc en vertu desquelles un litige portant sur des investissements intra-UE est porté devant un organisme d’arbitrage sont ainsi incompatibles avec le droit de l’Union européenne et leur validité doit être contestée par les États membres devant cet organisme ou devant le juge compétent (point 52).
Cette jurisprudence confirme la fin de l’arbitrage d’investissement au sein de l’Union européenne. Elle implique que les clauses d’arbitrage investisseur-État contenues dans un traité bilatéral d’investissement intra-européen ou résultant d’une convention d’arbitrage ad hoc conclue entre un État membre et un investisseur d’un autre État membre sont incompatibles avec des dispositions fondamentales du droit de l’Union européenne. Ce droit exclut qu’un investisseur d’un État membre puisse, en cas de litige concernant des investissements dans un autre État membre, introduire une procédure contre ce dernier État devant un tribunal arbitral.
Le système établi par les clauses d’arbitrage portant sur les investissements intra-européens est en effet soustrait aux mécanismes du renvoi préjudiciel et au contrôle de la Cour de justice. Il contourne le système des voies de recours établi par les traités constitutifs[3]. Les sentences arbitrales adoptées en dehors du système de protection juridictionnelle établi par les traités risquent ainsi d’être annulées pour contrariété au droit de l’Union européenne. Le risque d’annulation de ces sentences rendra l’arbitrage d’investissement peu attrayant aux yeux des investisseurs et entraînera son déclin définitif au sein de l’Union européenne[4].
Alexandra Ferentinou, La fin ré-annoncée de l'arbitrage d'investissement au sein de l'Union européenne, actualité du CEJE n° 36/2021, disponible sur www.ceje.ch
[1]COUTRON (L.), « Chronique contentieux de l'UE - Haro sur les tribunaux arbitraux établis par un traité bilatéral d'investissement conclu entre États membres de l'Union ? », RTD eur. 2019, p. 464.
[2] HERVÉ (A.), « Chronique Action extérieure de l'UE - Coup de tonnerre sur le droit des investissements étrangers, en attendant le séisme ? », RTD eur. 2018, p. 649.
[3]ROSSI (L.– S.), « Droits fondamentaux, primauté et autonomie : la mise en balance entre les principes « constitutionnels » de l'Union européenne », RTD eur., 2019, p. 67.
[4] KOROM (V.), « Jurisprudence Achmea : la fin de l'arbitrage d'investissement au sein de l'Union européenne ? », Recueil Dalloz, octobre 2018, p. 2005.