Dans l’affaire Bundesrepublik Deutschland, la Cour de justice de l’Union européenne a interprété l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen (CAAS), l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’article 21 TFUE et plusieurs dispositions de la directive 2016/680 relative à la protection des données à caractère personnel en matière pénale.
En 2012, l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol) a publié, à la demande des États-Unis et sur la base d’un mandat d’arrêt émis par les autorités de ce pays, une notice rouge visant WS, un ressortissant allemand, en vue de son extradition éventuelle. Lorsqu’une personne faisant l’objet d’une telle notice est localisée dans un État membre d’Interpol, celui-ci doit, en principe, procéder à son arrestation provisoire ou bien surveiller ou restreindre ses déplacements.
Toutefois, avant même la publication de la notice rouge, une procédure d’enquête portant sur les mêmes faits que ceux à l’origine de cette notice avait été engagée contre WS en Allemagne. Cette procédure a été définitivement clôturée en 2010, après le paiement d’une somme d’argent par WS, et ce conformément à une procédure spécifique de transaction prévue en droit pénal allemand. Par la suite, le Bundeskriminalamt (Office fédéral de la police criminelle, Allemagne) a informé Interpol qu’il considérait que, en raison de cette procédure antérieure, le principe ne bis in idem était applicable en l’espèce.
En 2017, WS a introduit un recours contre l’Allemagne devant le Verwaltungsgericht Wiesbaden (tribunal administratif de Wiesbaden, Allemagne), pour qu’il lui soit ordonné de prendre les mesures nécessaires au retrait de la notice rouge à son encontre. À cet égard, WS a invoqué, outre une violation du principe ne bis in idem, une violation de son droit à la libre circulation, garanti par l’article 21 TFUE, dans la mesure où il ne pouvait pas se rendre dans un État partie à l’accord de Schengen ou dans un État membre sans risquer d’être arrêté. Il estimait également que, en raison de ces violations, le traitement de ses données à caractère personnel, figurant dans la notice rouge, était contraire à la directive 2016/680.
La Cour de justice a rappelé que le principe ne bis in idem est susceptible de s’appliquer dans une situation telle que celle en cause au principal. La Cour de justice a jugé, en premier lieu, que l’article 54 de la CAAS, l’article 50 de la Charte ainsi que l’article 21, paragraphe 1, TFUE ne font pas obstacle à l’arrestation provisoire d’une personne visée par une notice rouge d’Interpol, tant qu’il n’est pas établi que celle-ci a été définitivement jugée par un État partie à l’accord de Schengen ou par un État membre pour les mêmes faits que ceux fondant la notice rouge et que, partant, le principe ne bis in idem s’applique. Lorsque l’application du principe ne bis in idem demeure incertaine, une arrestation provisoire peut constituer une étape indispensable en vue de procéder aux vérifications nécessaires tout en évitant la fuite de l’intéressé. Cette mesure est alors justifiée par l’objectif légitime d’éviter l’impunité de celui-ci. En revanche, dès lors que l’application du principe ne bis in idem a été constatée par une décision judiciaire définitive, tant la confiance mutuelle existant entre les États parties à l’accord de Schengen que le droit de libre circulation s’opposent à une telle arrestation provisoire ou au maintien de cette arrestation.
S’agissant, en deuxième lieu, de la question relative aux données à caractère personnel figurant dans une notice rouge d’Interpol, la Cour de justice a jugé que leur traitement poursuit une finalité légitime. En effet, leur traitement ne saurait être considéré comme illicite au seul motif que le principe ne bis in idem pourrait s’appliquer aux faits sur lesquels la notice rouge est fondée. Ce traitement, par les autorités des États membres, peut d’ailleurs s’avérer indispensable, précisément afin de vérifier si ledit principe s’applique.
Dans ces conditions, la Cour de justice a statué que la directive 2016/680, lue à la lumière de l’article 54 de la CAAS et de l’article 50 de la Charte, ne s’oppose pas au traitement des données à caractère personnel figurant dans une notice rouge, tant qu’une décision judiciaire définitive n’a pas établi que le principe ne bis in idem s’applique en l’espèce. En revanche, lorsque le principe ne bis in idem s’applique, l’enregistrement, dans les fichiers de recherche des États membres, des données à caractère personnel figurant dans une notice rouge d’Interpol n’est plus nécessaire, étant donné que la personne en cause ne peut plus faire l’objet de poursuites pénales pour les faits couverts par ladite notice et, par conséquent, être arrêtée pour ces mêmes faits.
En conclusion, le principe ne bis in idem peut s’opposer à l’arrestation, dans l’espace Schengen et dans l’Union européenne, d’une personne visée par un signalement Interpol, lorsque les autorités compétentes ont connaissance d’une décision judiciaire définitive constatant l’application de ce principe, prise dans un État partie à l’accord de Schengen ou un État membre.
Vincenzo ELIA, Application du principe ne bis in idem de la CAAS et la libre circulation des personnes, actualité du CEJE n° 18/2021, disponible sur www.ceje.ch