Les tensions de ces dernières semaines entre le gouvernement catalan et le gouvernement espagnol posent la question du rôle de l’Union européenne dans ce type de conflits internes à un État membre. Si les institutions européennes sont restées silencieuses sur ce conflit dans un premier temps, elles ont commencé à se prononcer petit à petit au cours des dernières semaines. La Commission européenne a publié une déclaration, le 2 octobre 2017, et le Parlement européen a tenu un débat spécial sur cette question le 4 octobre.
Sans nous prononcer sur les avantages ou les inconvénients d’une possible sortie de la Catalogne de l’État espagnol, nous tenterons de mettre en évidence les éléments relatifs à une potentielle action de l’Union européenne qui peuvent être discutés.
Tout d’abord, et contrairement à ce qui pourrait être pensé, l’Union européenne ne peut pas se prononcer sur la question de la validité juridique du référendum lui-même. Comme la Commission européenne l’a rappelé dans sa déclaration, « il s’agit d’une question interne à l’Espagne qui doit être réglée dans le respect de l’ordre constitutionnel de ce pays ». La Commission s’appuie sur l’article 4, paragraphe 2, TUE qui déclare que l’Union respecte l’identité nationale des États membres et « les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale ». Ainsi, la seule chose que la Commission a pu faire, c’est constater que « en vertu de la Constitution espagnole, le scrutin organisé […] en Catalogne n’était pas légal ». Au plus, des pressions politiques peuvent être exercées sur les gouvernement espagnol et catalan pour les pousser au dialogue politique.
En tout état de cause, il y a deux questions sur lesquelles les institutions européennes peuvent se prononcer : le respect des valeurs européennes et des droits fondamentaux par les forces de police pendant la journée du référendum du 1er octobre 2017 et les conséquences juridiques en droit de l’Union européenne d’une sortie de la Catalogne de l’État espagnol. Cette actualité concerne la première des questions, tandis que les conséquences de l’indépendance de la Catalogne dans ses rapports avec l’UE feront l’objet d’une seconde actualité (partie 2).
Sur le respect des valeurs, la Commission européenne s’est limitée à signaler que « la violence ne peut jamais être un instrument politique » et que le gouvernement espagnol est tenu de respecter les droits fondamentaux de ses citoyens.
Face aux images de la police et les manifestants qui ont été diffusées dans les médias, la question s’est posée de savoir si l’article 7 TUE pourrait être appliqué. Cette disposition permet au Conseil européen de « constater l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l’article 2 » (article 7, paragraphe 2, TUE) ce qui peut mener le Conseil à suspendre l’État membre fautif de certains de ses droits, dont le droit de vote (article 7, paragraphe 3, TUE).
Il y a deux objections face à l’utilisation de cette disposition dans le cas du conflit entre les gouvernements catalan et espagnol. La première est une objection d’ordre procédural : le mécanisme prévu à l’article 7 TUE exige que le Conseil européen statue à l’unanimité, ce qui semble peu probable pour l’instant. En effet, si certains États membres se sont prononcés sur la question, un certain nombre d’entre eux, dont la France et l’Allemagne, l’ont fait en se plaçant aux côtés du gouvernement espagnol. La deuxième objection est plutôt d’ordre matériel : l’article 7 TUE exige une violation grave et persistante des valeurs reconnues à l’article 2 TUE. Ce dernier article fait référence à la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme entre autres. Il est difficile de maintenir qu’il y a eu une violation du principe démocratique le 1er octobre puisque le référendum célébré était illégal et avait été déclaré comme étant inconstitutionnel par la Cour constitutionnelle espagnole. On pourrait cependant penser que les droits fondamentaux des manifestants n’ont pas été respectés. Toutefois, est-ce qu’une telle violation a été grave et, surtout, persistante ? Cela est difficile à dire étant donné que ces critères n’ont jamais été analysés, l’article 7 TUE n’ayant pas été utilisé jusqu’à présent. Actuellement, le seul cas qui risque de mener à l’utilisation de cette disposition concerne la Pologne. Cependant, pour l’instant il n’y a eu que des discussions entre cet État et la Commission européenne. Par ailleurs, le cas de la Pologne est assez différent de celui de l’Espagne puisqu’il ne concerne pas une action précise mais toute une série de mesures adoptées par le gouvernement ayant un impact décisif sur l’ordre institutionnel polonais à long terme. Dans le cas de la Hongrie, l’activation de l’article 7 TUE avait aussi été évoquée mais aucune action n’a été entreprise pour l’instant par la Commission européenne alors que des atteintes à l’État de droit ont été dénoncées pendant plusieurs années. Dans cette optique, l’invocation de l’article 7 TUE pour des actions menées pendant une seule journée ne semble pas possible.
On peut aussi se poser la question de la possibilité d’utiliser le recours en manquement, prévu aux articles 258 et 259 TFUE, à l’encontre de l’État espagnol. Ce mécanisme, plus fréquent que la procédure prévue à l’article 7 TUE, aboutit à un arrêt avec des effets déclaratoires constatant la violation, par l’État membre visé, de ses obligations en vertu du droit de l’Union européenne. Concernant les violences policières, il pourrait être mis en avant que l’Espagne n’a pas respecté la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et notamment la liberté d’expression (article 11) et la liberté de réunion et d’association (article 12). Si ces droits peuvent être limités, l’article 52, paragraphe 1, de la Charte exige que cela soit fait « dans le respect du principe de proportionnalité ». La question qui se pose est celle de savoir si les actions entreprises par la police espagnole le 1er octobre peuvent être qualifiées de disproportionnées. Si le nombre de victimes reportées a été modifié à la baisse au cours des derniers jours et si, dans la plupart des cas, la police semble s’être comportée de manière proportionnelle, les images semblent indiquer que des abus auraient pu être commis. Ce sera, le cas échéant, à la Cour de justice de l’Union européenne de se prononcer sur cette question. Il convient toutefois de noter que cette procédure ne peut être initiée que par la Commission européenne ou par les États membres. S’il est extrêmement rare dans la pratique qu’un État membre introduise un recours en manquement, la Commission ne semble pas être prête à introduire une telle action à la lecture de sa déclaration.
Il est vrai que les institutions et la plupart des gouvernements ont condamné la violence vécue pendant la journée électorale du 1er octobre 2017. Toutefois, les mécanismes juridiques dont l’Union européenne dispose sont limités. Mis à part la pression politique exercée par les déclarations faites au cours de la semaine dernière, le droit de l’Union européenne n’offre pas de moyens juridiques susceptibles d’imposer des sanctions supplémentaires au gouvernement espagnol compte tenu du contexte politique. La seule voie vraisemblablement possible serait d’aller devant la Cour européenne des droits de l’homme, même si le test de proportionnalité se posera dans des termes semblables que ceux mentionnés ci-dessus au sujet de la Charte des droits fondamentaux.
Elisabet Ruiz Cairó, "La crise catalane: application du droit de l’Union européenne aux violences policières (partie 1)", actualité du 17 octobre 2017, www.ceje.ch