Les conditions du séjour des ressortissants de pays tiers dans l’Union européenne au titre du regroupement familial continuent de faire l’objet d’un contentieux abondant devant la Cour de justice de l’Union européenne. Dans l’arrêt Sagrario (C‑63/23) du 12 septembre 2024, la Cour a apporté de nouvelles clarifications sur les conséquences du refus de renouvellement du titre de séjour octroyé sur la base de la directive 2003/86 relative au droit au regroupement familial.
En l’espèce, une mère de famille et ses deux enfants, tous les trois ressortissants de pays tiers, étaient titulaires d’un permis de séjour pour regroupement familial. Leur titre de séjour était dérivé de celui du père de famille qui avait la qualité de « regroupant » au sens de la directive 2003/86. Les quatre membres de la famille ont introduit une demande de permis de séjour de longue durée. Leur demande a été rejetée en raison de l’existence d’un antécédent pénal dans le chef du père de famille.
La mère et ses enfants ont introduit un recours contre le rejet de leur demande de séjour devant le tribunal administratif de Barcelone. Ce dernier a relevé que la décision du rejet avait été adoptée sans que l’autorité compétente procède à un examen individualisé prescrit par l’article 17 de la directive 2003/86 en vertu duquel « [l]es États membres prennent dûment en considération la nature et la solidité des liens familiaux de la personne et sa durée de résidence dans l'État membre, ainsi que l'existence d'attaches familiales, culturelles ou sociales avec son pays d'origine, dans les cas de rejet d'une demande, de retrait ou de non-renouvellement du titre de séjour ». Au surplus, le tribunal administratif avait plusieurs doutes quant à la conformité de la législation espagnole sur le regroupement familial avec la directive 2003/86. En particulier, l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive 2003/86 dispose que « [l]es États membres arrêtent des dispositions garantissant l’octroi d’un titre de séjour autonome en cas de situation particulièrement difficile. » Or, la réglementation espagnole ne mentionnait pas les cas de « situation particulièrement difficile » évoqués à cette disposition. En outre, elle ne prévoyait ni de procédure permettant aux intéressés de faire valoir des circonstances individuelles ni la tenue d’une audition préalable des mineurs.
Dans ces circonstances, le tribunal administratif de Barcelone a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles sur l’interprétation de la directive 2003/86. Premièrement, il souhaitait savoir si la situation des requérants peut être qualifiée comme une « situation particulièrement difficile », au sens de l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2003/86 au motif qu’elle concerne des enfants mineurs ou que les membres de la famille perdent leur titre de séjour pour des raisons indépendantes de leur volonté. Deuxièmement, il demandait des précisions sur les garanties procédurales dont disposent les membres de la famille et, en particulier, les enfants mineurs, préalablement à l’adoption d’une décision refusant le renouvellement de leur titre de séjour.
La Cour de justice a, en premier lieu, examiné la portée de la notion de « situation particulièrement difficile » au sens de l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2003/86. La directive ne définit pas cette notion et ne fournit aucune illustration d’une telle situation. Commençant par l’interprétation littéraire de la notion, la Cour de justice a relevé que l’expression « situation particulièrement difficile » suppose « l’existence de circonstances qui présentent, par leur nature, un degré élevé de gravité ou de pénibilité pour le membre de la famille concerné ou qui l’exposent à un niveau élevé de précarité ou de vulnérabilité excédant les aléas habituels d’une vie familiale normale. »
Cette définition a été par la suite corroborée par une interprétation téléologique et contextuelle. A cet égard, la Cour a rappelé que la directive 2003/86 vise à assurer la protection de la famille ainsi qu’à faciliter l’intégration des ressortissants de pays tiers dans les États membres. Dans cette perspective, l’article 15, paragraphe 3, de la directive, poursuit l’objectif spécifique de la protection des membres de la famille du regroupant en leur assurant l’octroi d’un titre de séjour autonome dans les situations où leur dépendance par rapport au regroupant est à l’origine de difficultés particulières. La Cour a encore observé qu’une telle définition englobe les cas de figures considérés dans l’exposé des motifs de la proposition de directive et dans les lignes directrices pour l’application de la directive qui indiquent que l’article 15, paragraphe 3, de la directive vise notamment à protéger les victimes des violences domestiques. Par ailleurs, l’existence de la « situation particulièrement difficile » peut être établie également dans les cas qui ne sont pas liés à la rupture du lien conjugal. Ciblant l’analyse sur les faits d’espèce, la Cour de justice a conclu que la seule présence d’enfants mineurs parmi les membres de la famille du regroupant ou le fait que la perte du titre de séjour de ces derniers est la conséquence de circonstances propres au regroupant ne peuvent suffire à justifier l’octroi d’un titre de séjour autonome sur la base de la présence d’une « situation particulièrement difficile ».
Examinant, en second lieu, les questions relatives à l’obligation de l’examen individualisé et le respect du droit d’être entendu, la Cour de justice a rappelé que l’examen prescrit par l’article 17 de la directive 2003/86 doit être effectué à la lumière des objectifs poursuivis par cette directive et implique « une évaluation équilibrée et raisonnable de tous les intérêts en jeu ». Le refus d’un titre de séjour ne peut pas intervenir de manière automatique. S’agissant de la portée du droit d’être entendu, la Cour a rappelé sa jurisprudence constante en vertu de laquelle le respect de ce droit fondamental s’impose même si la réglementation applicable ne le prévoit pas expressément. Pour autant, ce droit n’implique pas nécessairement l’obligation de mettre la personne concernée en mesure de s’exprimer oralement. Puisqu’une décision de refus de renouvellement d’un titre de séjour octroyé aux membres de la famille d’un regroupant est manifestement de nature à affecter de manière défavorable les intérêts de ces derniers, la prise d’une telle décision devrait être précédée par l’audition de ces individus. En ce qui concerne des modalités d’intervention d’un mineur, la Cour a souligné que l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux qui protège l’intérêt supérieur de l’enfant impose non pas l’audition de l’enfant en tant que telle, mais la possibilité pour l’enfant d’être entendu. En conclusion, lorsque la décision de refus de renouvellement du séjour au titre de regroupement familial concerne un enfant mineur, les États membres sont tenus de prendre toutes les mesures appropriées pour offrir à cet enfant une possibilité réelle et effective d’être entendu, en fonction de son âge ou de son degré de maturité.
L’arrêt Sagrario apporte des clarifications utiles sur la notion de « situation particulièrement difficile » au sens de l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2003/86 ainsi que sur le droit d’être entendu lors des procédures relatives au regroupement familial. C’est la première fois que la Cour de justice a été invitée à se prononcer sur le droit fondamental d’être entendu dans le contexte d’application de la directive 2003/86. La mise en valeur de l’examen individualisé et du respect des droits procéduraux peut être considérée comme un développement avantageux du point de vue de protection des droits des ressortissants de pays tiers.
Reproduction autorisée avec la référence suivante : Alicja Słowik, Le droit de séjour autonome et la protection des droits procéduraux dans la directive 2003/86, actualité n° 25/2024, publiée le 30 septembre 2024, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch