"Ils nous submergent. Ils ne frappent pas à notre porte, ils l'enfoncent sur nous. Nos frontières sont en danger. La Hongrie et toute l'Europe sont en danger"déclarait le Premier ministre Orban en 2015 au plus fort de la crise migratoire. Avec de telles déclarations, ce sont surtout les valeurs de l’Union européenne fondées sur les principes de solidarité et de partage équitable des responsabilités qui sont en danger.
Dans un arrêt du 6 septembre 2017 (aff. C-643/15), la Cour de justice de l’Union européenne a statué, en grande chambre, sur la demande d’annulation de la République slovaque et de la Hongrie de la décision du Conseil (UE) 2015/1601. Celle-ci établit un mécanisme provisoire de relocalisation obligatoire de 120 000 demandeurs ayant manifestement besoin d’une protection internationale dans les états membres de l’UE au profit de la Grèce et de l’Italie. Cette décision avait été prise pour porter main forte à ces états en première ligne et compléter les mesures provisoires établies par la décision (UE) 2015/1523.
Les requérants ont argué de l’inadéquation de l’article 78, paragraphe 3, du traité FUE en tant que base juridique de la décision attaquée, inter alia du fait que l’afflux caractérisant la situation d’urgence n’était ni soudain ni imprévisible. Ils soutiennent également que le Conseil a enfreint l’article 68 du traité FUE du fait de l’adoption de la décision en cause à la majorité qualifiée, ainsi que d’une violation de l’article 293 du traité FUE du fait de l’amendement de la proposition de la Commission sans respecter l’unanimité. Ils ont parallèlement présenté des moyens relatifs à de supposées irrégularités procédurales et remis en cause la conformité de cette décision avec le principe de proportionnalité, allant même jusqu’à faire valoir une violation du régime linguistique.
Répondant à ces moyens, aussi divers que variés, la Cour souligne le caractère essentiel de la mesure, garantissant une réponse adaptée à la situation d’urgence et de saturation des structures d’accueil grecques et italiennes, paralysant le fonctionnement du système commun d’asile européen. La Cour estime que le mécanisme de relocalisation contenue dans la décision attaquée est apte à alléger la pression sur ces régimes et ne dépasse pas les limites de ce qui est nécessaire pour ce faire. La Cour précise, non sans un brin d’ironie, que le résultat actuel, i.e. le peu de relocalisations effectuées à ce jour, s’explique entre autres par « le manque de coopération de certains Etats membres » (pt 223).
Il est bon de rappeler que les relocalisations dans les Etats membres sont assujetties à l’indication par ces derniers du nombre de demandeurs pouvant être rapidement relocalisés sur leurs territoires. Elles sont également assujetties à un mécanisme d’ajustement tenant compte de la situation particulière de chaque Etat membre sur la base d’une clé de répartition (taille de la population, total du PIB, nombre moyen de demandes d’asiles par million d’habitants en 2010-2014 et taux de chômage).
En outre, la pression migratoire pesant sur la Hongrie avait diminué de manière significative au moment de l’adoption de cette mesure. La Hongrie ayant alors demandé à ne pas en être membre bénéficiaire, la Cour estime par conséquent que la mention de ce pays comme état de relocalisation ne constitue pas une charge disproportionnée. La Cour rappelle également que la décision attaquée permet de suspendre ces obligations dans certaines circonstances, chose faite et accordée temporairement à la Suède et à l’Autriche.
Par ailleurs, la Cour confirme la conformité du mécanisme avec les principes de sécurité juridique et de clarté normative ainsi qu’avec ceux de la Convention de Genève. Les différentes mesures assurent de facto « l’exercice effectif du droit fondamental d’asile » (pt 343). La Cour insiste également sur le fait que ce mécanisme repose sur des critères objectifs pour déterminer l’Etat membre de relocalisation, pour certains même, analogues à ceux existants dans le système de Dublin III. Elle rappelle que la règle du premier Etat d’entrée est la seule règle à laquelle déroge la décision et n’est pas liée aux préférences du demandeur.
La Cour rejette donc les recours et précise, à bon droit, que l’incidence politique ne constitue pas un motif d’annulation. Le Premier ministre Orban a déclaré prendre note de cette décision, précisant néanmoins que celle-ci ne constituait pas un motif d’arrêt des politiques anti-migratoires mises en œuvre sur le territoire hongrois. L’avocat général Bot avait souligné dans ses conclusions que la Cour serait en droit, si elle était saisie d’un recours en manquement, de rappeler ses obligations et responsabilités aux Etats membres n’ayant pas appliqué la décision attaquée en premier lieu. Affaire à suivre…
Camille Limon, ‘Crise migratoire, solidarité et nationalisme : la CJUE se prononce’, actualité du 14 septembre 2017, www.ceje.ch