La Cour de justice de l’Union européenne a rendu son arrêt dans l’affaire X et X contre État belge qui sera sans doute l’objet d’une grande controverse. Dans cet arrêt de grande chambre, la Cour a déclaré que l’affaire ne relevait pas du champ d’application du code des visas et que les demandes de visas dont il est question sont exclusivement soumises au droit national.
L’affaire au principal concerne un couple marié syrien ainsi que ses trois enfants mineurs. Les requérants ont introduit des demandes de visas à l’ambassade de Belgique à Beyrouth en vertu du code des visas. L’article 25 dudit code permet de délivrer un visa à validité territoriale limitée d’une durée maximale de 90 jours pour des raisons humanitaires. Cette famille syrienne voulait obtenir un de ces visas dans l’intention de demander l’asile en Belgique dès leur arrivée dans cet État membre. Si cette demande était acceptée, ils se feraient alors délivrer un permis de séjour d’une durée supérieure à 90 jours.
Ces demandes ont été refusées par l’Office belge des étrangers car cela reviendrait, au final, à autoriser de faire une demande d’asile auprès d’un poste diplomatique, ce qui n’est pas possible dans la législation belge. Le mécanisme de demande d’asile pourrait ainsi être contourné à travers cette procédure en deux temps. Les requérants contestent une telle décision et soutiennent qu’il y a eu violation des articles 4 et 18 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que de l’article 33 de la convention de Genève. Le Conseil du contentieux des étrangers belge décide alors de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.
La Cour de justice confirme le raisonnement de l’Office des étrangers. Elle affirme que les demandes de visas « quand même bien elles ont été formellement introduites sur le fondement de l’article 25 de ce code, ne relèvent pas du champ d’application dudit code » (point 43). Bien que l’article 79, paragraphe 2, sous a, TFUE permette à l’Union européenne d’adopter des actes législatifs en matière de visas de longue durée pour des raisons humanitaires, de telles mesures n’ont pas été adoptées à ce jour et, en conséquence, cela relève pour l’instant du droit national exclusivement (point 44). La Cour déclare ainsi que la situation en cause au principal n’est pas régie par le droit de l’Union et, en conséquence, il n’y a pas lieu de contrôler la validité de la décision des autorités belges par rapport à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (point 45).
Cet arrêt est décevant pour plusieurs raisons. D’une part, il est surprenant après la lecture des conclusions rendues par l’Avocat général Mengozzi en février 2017. Ce dernier avait affirmé qu’il était crucial que, « à l’heure où les frontières se ferment et où les murs s’érigent, les États membres ne fuient pas leurs responsabilités, telles qu’elles découlent du droit de l’Union ou, permettez-moi l’expression, du droit de leur et de notre Union » (point 4). Le raisonnement de l’Avocat général était, ainsi, très différent de celui qui a été suivi par la suite par la Cour de justice. En admettant que les demandes de visas faites par les requérants entrent bien dans le champ d’application du code des visas, son argumentation était fondée t ensuite sur la compatibilité du refus des autorités belges avec la Charte. Il concluait qu’un Etat membre avait l’obligation de délivrer un visa à validité territoriale limitée pour des raisons humanitaires si le refus pouvait exposer les demandeurs à des traitements interdits par l’article 4 de la Charte (point 163). Pour justifier cette conclusion, l’avocat général se basait sur les valeurs de l’Union et rappelait les faits dramatiques qui avaient eu lieu ces derniers mois. Ses conclusions étaient telles qu’elles permettaient de penser que la Cour de justice l’Union européenne allait suivre un raisonnement, sinon identique, au moins similaire :
« Avant de conclure, permettez-moi de rappeler à votre attention combien le monde entier, en particulier chez nous, en Europe, s’est indigné et profondément ému de voir, il y a deux ans, le corps sans vie du petit Alan, échoué sur une plage, après que sa famille avait tenté, à l’aide de passeurs et d’une embarcation de fortune surchargée de réfugiés syriens, de rallier, par la Turquie, l’île grecque de Kos. Sur les quatre membres de sa famille, seul son père a échappé du naufrage. Il est louable et salutaire de s’indigner. Dans la présente affaire, la Cour a cependant l’occasion d’aller plus loin, comme je l’y invite, en consacrant la voie légale d’accès à la protection internationale qui résulte de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas. Que l’on ne se méprenne pas : ce n’est pas parce que l’émotion le dicte, mais parce que le droit de l’Union le commande » (point 175).
Il s’agissait également d’une bonne opportunité pour la Cour de justice de rappeler les priorités de l’Union européenne en matière de réfugiés et de mettre en avant les valeurs de l’Union. Cela aurait permis de se distancer du discours de certains États membres, très critiques du système de quotas de migrants établi par la Commission européenne en 2015.
Finalement, cet arrêt est décevant parce que c’est la deuxième fois, dans la même semaine, que la Cour de justice de l’Union européenne semble vouloir éviter d’entrer en matière dans le domaine des réfugiés. Après l’ordonnance du 28 février dans l’affaire NF c. Conseil européen où le Tribunal a déclaré son incompétence pour contrôler la validité de la Déclaration UE-Turquie, cet arrêt de la Cour confirme la tendance suivie par le Tribunal.
L’arrêt rendu le 7 mars 2017 fera sans doute l’objet de nombreux commentaires par la doctrine et par la presse. La Cour de justice a évité de prendre position dans une situation dans laquelle le code des visas, et donc le droit de l’Union européenne, paraissait tout à fait applicable. Elle n’a pas favorisé le cadre juridique pour permettre à l’Union européenne de jouer un rôle décisif dans un domaine dans lequel une action uniforme des États membres s’impose. La seule alternative semble donc être l’adoption d’actes législatifs en vertu de l’article 79, paragraphe 2, sous a, TFUE. Cependant, au vu des divergences entre États membres, cette solution semble difficilement envisageable à l’heure actuelle étant donné que cette disposition exige de suivre la procédure législative ordinaire.
Elisabet Ruiz Cairó, "Crise des réfugiés : la Cour de justice de l’Union européenne refuse l’application du code des visas", actualité du 9 mars 2017, disponible sur www.ceje.ch