La directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale a été récemment interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne.
Dans l’affaire C-113/22, DX, père de deux enfants, s’est vu refuser, par l’institut national de la sécurité sociale (INSS, Espagne), un complément de pension, prévu par le droit national espagnol, dont seules les femmes ayant au moins deux enfants pouvaient bénéficier. Suite au rejet de la demande par l’INSS, DX a décidé d’attaquer la décision de l’INSS rejetant le complément de pension devant le tribunal de travail de Vigo. L’affaire a ensuite été portée devant la Cour supérieure de justice de Galice, laquelle a posé à la Cour de justice de l’Union européenne les questions préjudicielles suivantes :
- La pratique de l’INSS, consistant à refuser systématiquement d’accorder aux hommes le complément de pension en cause et à obliger ces derniers à le réclamer en justice, doit être considérée, au regard de l’article 6, de la directive 79/7, comme étant une discrimination distincte de la discrimination résultant de la loi nationale ainsi que de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, soit l’affaire C-450/18 du 12 décembre 2019 (Instituto Nacional de la Seguridad Social (Complément de pension pour les mères) ?
- Si la réponse à la première question est positive, est-il plus adapté d’octroyer à l’intéressé le complément de pension rétroactivement ou une indemnisation réparant le préjudice matériel et moral ?
La Cour a commencé par rappeler son arrêt du 12 décembre 2019 en vertu duquel le complément de pension accordé par l’Espagne aux seules mères bénéficiaires d’une pension d’invalidité, lorsqu’elles ont deux enfants ou plus (biologiques ou adoptés), à l’exclusion des pères se trouvant dans une situation comparable, était susceptible de constituer une discrimination directe fondée sur le sexe, contraire à la directive sur l’égalité de traitement. Par conséquent, la Cour a constaté qu’une discrimination à l’égard de DX a été commise et cette discrimination demeurera aussi longtemps que des mesures rétablissant l’égalité de traitement n’auront pas été adoptées. La Cour a donc rappelé aux juridictions nationales et aux autorités administratives nationales qu’ils sont tenus d’écarter toute disposition nationale discriminatoire, sans attendre jusqu’à ce que celle-ci soit abrogée par le législateur national.
La Cour considère que la décision de refus est susceptible d’entraîner une nouvelle discrimination pour les affiliés masculins, puisque seuls les hommes doivent alors faire valoir leur droit au complément de pension en cause par la voie judiciaire, ce qui, notamment, les expose à un délai plus long pour son obtention, ainsi que, le cas échéant, à des dépenses supplémentaires, telles que les frais judiciaires, les dépens et les honoraires d’avocat.
En raison de la réponse positive à la première question préjudicielle, la Cour a ensuite examiné s’il serait plus adapté d’octroyer les pensions précédentes (effet rétroactif) ou une indemnisation. Selon la Cour, un simple octroi de l’effet rétroactif ne remédierait pas aux préjudices issus de cette nouvelle discrimination. DX doit donc se voir octroyer également une réparation pécuniaire adéquate, qui puisse compenser intégralement les préjudices effectivement subis du fait de la discrimination.
Il ne fait aucun doute qu’il s’agissait en vertu du droit espagnol et du droit de l’Union européenne d’une violation du principe de l’égalité en matière de sécurité sociale. Il convient également de noter que la loi espagnole relative à la sécurité sociale a subi des modifications depuis décembre 2021, soit environ deux mois avant l’introduction de la demande de décision préjudicielle à la Cour de justice, lesquelles ont attribué le droit à ces pensions également aux hommes. La question de savoir s’il était plus adapté d’octroyer un effet rétroactif ou un dommage était plus importante dans cette affaire. Dans le but de déterminer la qualification de l’indemnisation, la Cour de justice s’est référée à l’interprétation de la loi nationale, soit la loi espagnole, laquelle prévoit l’indemnisation par le biais de dommages et intérêts afin de prévenir les situations de discrimination. La Cour a également déterminé que l’indemnisation devrait, en plus des pensions, inclure les frais, les dépens et les honoraires d’avocats liés aux procédures juridictionnelles.
Reproduction autorisée avec la référence suivante : Saud Ahmed, Le droit à l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale : le droit pour les hommes au complément de pension, actualité du CEJE n° 32/2023, 27 septembre 2023, disponible sur www.ceje.ch