Dans l’arrêt récent Subdelegación del Gobierno en Toledo, la Cour de Justice de l’Union Européenne a eu l’occasion de préciser dans quelles situations l’article 20 TFUE oblige les États membres à octroyer le droit de séjour à un ressortissant d’État tiers, membre de la famille d’un citoyen de l’Union. Les deux affaires jointes concernaient le refus du titre de séjour à des ressortissants d’États tiers se trouvant dans une « relation de dépendance » avec des citoyens de l’Union. La Cour de justice a été plus spécifiquement confrontée à la question de savoir si ce refus portait atteinte aux droits conférés par le statut de citoyen de l’Union.
Dans la première affaire, une ressortissante vénézuélienne s’est installée en Espagne avec son enfant, lui aussi de nationalité vénézuélienne. Elle a épousé un ressortissant espagnol avec qui elle a eu un enfant de nationalité espagnole. En septembre 2015, le beau-père a introduit une demande pour que l’enfant de nationalité vénézuélienne obtienne une carte de séjour temporaire de membre de famille d’un citoyen de l’Union. Cette demande a été rejetée par les autorités espagnoles au motif que le père n’a pas démontré qu’il avait des ressources financières suffisantes pour lui-même et pour les membres de sa famille. Il est à noter que ni le beau-père, ni l’enfant de nationalité espagnole n’ont jamais exercé leur liberté de circulation au sein de l’UE.
Dans la seconde affaire, un ressortissant péruvien s’est marié avec une ressortissante espagnole qui n’a jamais exercé sa liberté de circulation au sein de l’Union. Le couple avait un enfant de nationalité espagnole. Le père s’est vu rejeter sa demande d’une carte de séjour de membre de la famille d’un citoyen de l’Union au motif qu’il avait un casier judiciaire en Espagne et que son épouse ne disposait pas de ressources suffisantes.
Considérant que le refus du titre de séjour aux ressortissants d’États tiers dans les deux affaires pourrait mettre en péril l’effectivité des droits dont les membres de leurs familles jouissaient en tant citoyens de l’Union, le juge espagnol a décidé de saisir la Cour de Justice pour qu’elle examine la compatibilité de la pratique espagnole avec le droit de l’UE. La Haute juridiction de l’Union a dû analyser la notion de « relation de dépendance » entre le citoyen de l’UE et un membre de sa famille, ressortissant d’État tiers, dont l’existence peut limiter la possibilité pour les autorités nationales de refuser le titre de séjour à ce dernier.
En confirmant sa jurisprudence antérieure, la Cour a tout d’abord souligné que l’article 20 TFUE s’oppose à ce qu’un État Membre refuse d’accorder un droit de séjour à un ressortissant d’un État tiers lorsqu’il « existe, entre ce ressortissant d’un pays tiers et le citoyen de l’Union, membre de sa famille, une relation de dépendance telle qu’elle aboutirait à ce que ce dernier soit contraint d’accompagner le ressortissant d’un pays tiers en cause et de quitter le territoire de l’Union, pris dans son ensemble » (point 46). Un tel refus pourrait mettre en cause l’effet utile des droits découlant de la citoyenneté européenne dans la mesure où il priverait le citoyen concerné de son droit de séjour sur le territoire européen. Pour cette raison, un État membre ne peut pas rejeter automatiquement la demande de carte de séjour sans examiner la possibilité d’existence d’un « lien de dépendance ». La Cour de Justice a précisé par ailleurs que l’obligation de vie commune découlant du mariage en vertu du droit national (qui figure p. ex. dans le code civil espagnol) ne constitue pas en soi un motif suffisant pour caractériser l’existence dudit lien. Dans la situation où le citoyen concerné est mineur, lors de l’appréciation de la présence de la relation de dépendance, les autorités doivent tenir compte du droit au respect de la vie familiale et de l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi que de l’ensemble des circonstances de l’espèce. Le fait que le citoyen mineur cohabite de façon stable avec ces deux parents fonde une présomption de l’existence du lien de dépendance entre ce citoyen et son parent venant d’un pays tiers. S’agissant de la situation particulière de la famille dans la première affaire, la Cour a encore précisé qu’un État membre ne peut pas refuser le titre de séjour à un enfant mineur, ressortissant d’un État tiers, lorsque ce refus aura pour effet de forcer son demi-frère, citoyen de l’Union, de quitter le territoire de l’État membre concerné. En effet, il serait naturel pour un parent qui accompagnera son enfant forcé de vivre dans un État tiers d’emmener avec lui son deuxième enfant, citoyen de l’UE. De cette façon, ce dernier serait contraint de quitter le territoire d’un État membre de l’UE et serait dépourvu des privilèges liés à son « statut fondamental » de citoyen de l’Union.
Le présent arrêt apporte des clarifications sur la notion de « relation de dépendance » qui devraient faciliter l’application de l’article 20 TFUE. La nécessité d’un examen individualisé de l’existence d’une telle relation vise à assurer le respect des droits fondamentaux et de l’intérêt supérieur de l’enfant. L’arrêt constitue un pas supplémentaire vers la définition de la notion « l’essentiel des droits conférés par le statut de citoyen de l’Union ». Parmi ces droits figure naturellement le droit de séjourner sur le territoire des États membres. Cependant, le présent jugement démontre que la Cour de Justice est bien consciente des liens intrinsèques qui existent entre ce droit de séjour et la nécessité de la protection des droits fondamentaux. Ce droit « emblématique » de citoyen de l’Union ne pourra pas être effectivement exercé sans que soit garanti le plein respect de ses droits fondamentaux, dont notamment le droit au respect de la vie familiale.
Alicja Słowik, Précisions sur la notion de « relation de dépendance » justifiant l’octroi d’un droit de séjour au titre de l’article 20 TFUE, actualité du CEJE n° 12/2022, 8 juin 2022, disponible sur www.ceje.ch